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JEAN BÊTE À LA FOIRE, SCÈNE IV.

arlequin le soutient.

Ce que c’est que l’amour de la tendresse du sexe fluminin.

jean bête.

Maraud ! tu me dis ça sans préparation.

arlequin.

Vraiment, ignorez-vous que monsieur le bonhomme Cassandre fait z’un gros commerce de mouchures de chandelles pour faire des croix, et de pelures d’oignons pour les enterrements.

jean bête.

Et sa fille ?

arlequin.

Z’elle a sa petite boutique devant elle, attachée à son ventre ; z’et elle gagne fort bien sa vie z’en vendant des pommes. Ah ! c’est un si grand plaisir de l’entendre crier dans la foire : « J’ai la rainette, j’ai la rainette ; … calvil rouge, calvil rouge… les gros rembour, les gros ; j’ai la rainette : » que ça vous donne envie de mordre à même ; et le soir, quand le jour est entré dans la nuit, comme elle a beaucoup de sagesse, elle en fait un petit commerce ; oh ! diable ! elle fera une bonne maison.

jean bête.

Ce que tu dis là z’est très-probable et très-raisonnable, mon cher Arlequin.

arlequin.

Paix ! v’là monsieur Cassandre avec ce galefretier de Gilles.

jean bête.

Z’allons-nous-en, car ma colère me reprend.



Scène II


CASSANDRE, GILLES.
gilles.

Eh bien ! monsieur le bonhomme Cassandre, vous l’ai-je rossé là d’une force importante ? Mais aussi faut convenir qu’ vous êtes un chien malheureux comme une pierre.

cassandre.

Tu vois, mon ami Gilles, je travaille depuis trente ans comme un serpent ; je me donne un casse-tête terrible, tout le long de l’année ; et z’au bout de ça…

gilles.

Pardienne, faut que vous ayez marché sur une planète bien maléfice, monsieur Cassandre ! Vous avez été autrefois au pilori ; z’un accident vous a flanqué pour six mois à Bicêtre, feu madame Cassandre vous battait comme un plâtre, vous avez fait z’amende honorable il y a trois ans, vous avez la mine d’un singe, vous êtes fait comme un scorpion, lourd comme un bœuf, bête comme un cochon, sale comme un picpus, puant comme un cul-de-sac



Scène III


GILLES, CASSANDRE, ISABELLE.
gilles.

Monsieur Cassandre, v’là votre fille qui revient rouge comme une cocodrille.

isabelle.

Et moi si z’on ne me donne pas mon amoureux, j’irai m’enterrer dans les bras d’un cloître, jusqu’au dernier moment de ma mort, car v’là comme je suis.

cassandre lève la canne.

Qu’eu d’emportement, fille dénaturée !

isabelle pleure.

On n’a qu'un pauvre petit zamant pour tout plaisir, et z’on vous l’ôte ! c’est z’un père cruel qui vous l’ôte ! ah ! ciel !

cassandre.

Et sans doute qui vous l’ôte. Ne voudra-t-elle pas bientôt que je lui métamorphose tous ses joujous en z’amants ? ça conviendrait bien à z’un père noble ! On a bien raison de dire que l’oisiveté est la mère ou la tante de tout vice, je ne sais pas ben lequel. Parce que mamselle est une grande fainéante qui ne sait pas s’occuper toute seule, et qui ne saurait faire œuvre de ses dix doigts, il lui faut toujours un z’amant pendu à sa ceinture comme un hochet ; et remue-toi, grande lâche, tricotte, fais comme ta mère : couds, couds ; c’était ça z’une femme.

isabelle.

C’est bien aisé à dire : couds, couds, mais toujours faire ces choses-là toute seule, ça z’ennuie à la fin.

cassandre.

Je ne sais sur quelle étoile elle a marché z’aujourd’hui, pourquoi n’êtes-vous pas dans ste foire ?…

isabelle.

J’ai la migraine.

cassandre.

Z’à vendre votre rainette ?

isabelle.

Je ne peux pas t’aller vendre des pommes crues, quand j’ai la tête en pomme cuite…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



Scène IV


JEAN BÊTE, ARLEQUIN déguisé en ours, GILLES, CASSANDRE, ISABELLE.
jean bête.

Ici, Messieurs, c’est la victoire
Des grands spectacles de la foire.
Un ours sorti des noirs climats,
Où les femmes sont frigidas.