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VIE DE BEAUMARCHAIS.

tenaient compte. Le roi lui-même, et c’est ce qui désolait surtout Pâris, ne semblait pas le savoir.

Beaumarchais, quand le vieux financier et lui se furent entendus, se fit fort de le lui apprendre, et, qui plus est, de l’obliger à voir l’École militaire. Il y parvint. Mesdames, dont avec ce brio de persuasion qu’il apportait partout il sut exciter à propos la curiosité, y vinrent les premières ; et Louis XV, qu’il ne fallait que mener, suivit pour admirer comme elles, et comme elles féliciter Pâris-Duverney, radieux d’avoir pu le recevoir. Ce fut pour Beaumarchais, à qui il en devait la joie, et qui eut l’adresse de le lui faire sentir par quelques mots de recommandation que lui dirent Mesdames, non-seulement partie gagnée, mais fortune faite. Pâris le mit de toutes ses affaires, et, afin de l’y pousser mieux en lui donnant plus de crédit par plus d’apparence, il lui prêta comme entrée de jeu les 56,000 livres qu’il fallait pour l’achat d’une de ces charges de secrétaire du roi, qui par le fait seul de l’acquisition vous rendaient nobles. Quand plus tard, dans le procès Goëzman, on lui reprochera de se targuer de noblesse sans en avoir, il pourra riposter que l’on a menti, qu’il en a et bien à lui : « il peut en montrer la quittance. »

Il ne s’en tint pas là. Secrétaire du roi en 1761, il faillit devenir maître des eaux et forêts l’année suivante. Une des grandes maîtrises se trouvait à vendre. Il y fallait 500,000 livres, Pâris lui en fit l’avance. Mais la morgue de ceux dont il serait ainsi devenu le collègue, et qui, bien qu’ils ne fussent guère de meilleure maison, comme il le leur prouva dans un mémoire assez vif[1], ne voulaient point parmi eux de cet ancien horloger, fit manquer le marché. Ce que tenta Pâris en le recommandant à MM. Bertin et de Beaumont, ce qu’essaya aussi M. de la Châteigneraie au nom de Mesdames n’aboutit à rien. Beaumarchais se dédommage en achetant la charge peut-être moins en vue, mais plus aristocratique, de lieutenant des chasses à la capitainerie du Louvre, qui fit de lui un vrai magistrat, nous le verrons, et de robe longue, comme Brid’Oison. Après M. le duc de la Vallière, son chef, il fut le plus haut justicier pour tous les délits de braconnage dans la banlieue de Paris.

Vers le même temps, pour ajouter encore à son importance, il se fit propriétaire. Il acquit au prix de 60,000 livres[2], fort beau denier pour le temps, la maison qui porte aujourd’hui le numéro 36 de la rue de Condé, près de l’Odéon, et dont la physionomie a si peu changé qu’il semble encore qu’on en va voir sortir, par la porte cochère, Beaumarchais dans ce fameux carrosse qui lui fut alors tant reproché, bien qu’il ne se le fût donné que pour mieux suffire à tous les besoins, à tous les mouvements de son activité sans trêve. « Il ne faut dans la vie, disait-il comme le maréchal de Belle-Isle, que du pain et des chevaux. »

Paris, la France ne suffirent bientôt plus à cette fièvre d’action, à cette passion du mouvement. Il partit pour l’Espagne, où Pâris-Duverney, dont il y fut clandestinement l’agent, et qui le lesta au départ d’un viatique de 200,000 livres, voyait les plus grosses affaires à traiter pour la subsistance des troupes, la colonisation de la Sierra Morena, etc., etc.

Beaumarchais en flairait d’autres encore dans le genre de celle que nous indiquions tout à l’heure en deux mots à propos de la marquise de La Croix, et qui étaient si essentiellement du ressort de sa politique à la Figaro. Comme il fallait à tout cela le plus absolu secret, il donna pour prétexte à son voyage d’Espagne, dont tous les buts étaient à cacher, l’aventure de sa sœur et de Clavijo, ce fameux roman de séduction puis d’abandon, où il se prêtera un si beau rôle, quand, plus tard, sommé d’expliquer son long séjour à Madrid, il en révélera

  1. Cité par M. de Loménie, t. I, p. 121.
  2. V. plus loin, Œuvres, Réponse ingénue.