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LES DEUX AMIS, ACTE V, SCÈNE XI.

AURELLY.

Réponds à monsieur.

SAINT-ALBAN.

Ces papiers…

AURELLY.

Oui… (À Dabins.) N’as-tu pas reçu, ce matin six cent mille francs échangés contre une partie de mes effets ?

DABINS, hésitant, à Aurelly.

Monsieur…

AURELLY, en colère.

Les avez-vous reçus, oui, ou non ?

SAINT-ALBAN.

Il faut répondre.

AURELLY.

Où donc est le mystère ? Il a été comme un fou toute la journée. Les avez-vous reçus ?

DABINS, embarrassé, à Aurelly.

Monsieur… on peut voir ma caisse ; elle est au comble.

AURELLY, à Saint-Alban.

J’en étais bien sûr. Ainsi j’ajoute aux sommes que je vous remets pour monsieur de Mélac…

DABINS, étonné.

Vous acquittez monsieur de Mélac ?

AURELLY.

Que va-t-il dire ?

DABINS.

Dans quelle erreur étais-je !

AURELLY.

Parlez.

SAINT-ALBAN.

Je vois clairement qu’il n’est point venu de fonds de Paris.

AURELLY, à Dabins.

Mes effets n’ont pas été vendus ?

DABINS, vivement.

Non, monsieur, ils n’ont pu l’être ; c’est la nouvelle que j’ai reçue ce matin.

AURELLY, hors de lui.

Avec quoi donc payes-tu ?

DABINS, un moment sans parler, étouffé par la joie.

Avec six cent mille francs que m’a prêtés monsieur de Mélac.

AURELLY.

Juste ciel !

PAULINE.

Mon père !

SAINT-ALBAN.

Ah ! quel homme !

DABINS, criant.

Cinq cent mille francs de sa caisse, cent mille à lui ; je ne puis me taire plus longtemps.

PAULINE.

Que j’en suis glorieuse ! mon âme a deviné la sienne…


Scène X

SAINT-ALBAN, AURELLY, MÉLAC père. PAULINE, DABINS.
PAULINE, apercevant Mélac père, se précipite à ses pieds.

Ô le plus généreux !…

MÉLAC PÈRE.

Que faites-vous, Pauline ?

AURELLY.

Je dois les embrasser aussi.

(Il veut se jeter à genoux.)
MÉLAC PÈRE le retient.

Mes amis !



Scène XI


SAINT-ALBAN, AURELLY, MÉLAC père, PAULINE, MELAC fils, DABINS.
MÉLAC FILS, s’écriant.

Aux pieds de mon père !

MÉLAC PÈRE.

Dabins, vous m’avez trahi !

DABINS, avec joie.

Pouvais-je garder votre secret, en apprenant que monsieur acquittait votre dette ?

MÉLAC PÈRE.

Il vient à mon secours ? (À part.) Ô vertu ! voilà ta récompense. À Aurelly.) Ami, quelles sont donc tes ressources ?

SAINT-ALBAN.

Tout le bien de mademoiselle en dépôt dans ses mains.

MÉLAC PÈRE.

De notre Pauline ? Ah ! mon cher Aurelly !

AURELLY.

Tu te perdais pour moi !

MÉLAC PÈRE.

Mais, toi…

AURELLY.

Peux-tu comparer de l’argent, lorsqu’il t’en coûtait l’état et l’honneur ?

MÉLAC PÈRE.

Je m’acquittais envers mon bienfaiteur malheureux ; mais toi, dans tes soupçons sur ma probité, devais-tu quelque chose à ton coupable ami ?

MÉLAC FILS, avec joie.

Ah ! mon père !

SAINT-ALBAN.

Eh bien, monsieur Aurelly ! puis-je accepter en payement le mandat que vous m’offrez ?

MÉLAC PÈRE, avec effroi.

Quel mandat ?

AURELLY, pénétré, à Saint-Alban.

Vous serez satisfait, monsieur : mon premier sentiment lui était bien dû ; le second me rend tout entier à mon malheur.

MÉLAC PÈRE.

Voilà ce que j’ai craint !