Hier encore je l’ai vu, mon père.
Cent mille francs à vous, destinés à l’établissement de votre fils, où sont-ils ?
Toutes les pertes du monde me toucheraient moins que l’impossibilité de justifier ma conduite.
Vous gardez le silence avec moi ?
Mon père…
Plus vous êtes mon ami, moins je puis parler.
Votre ami !… je ne le suis plus.
Ah ! monsieur !
« Si c’était moi ? » me disait-il ce matin. — Ainsi donc, en défendant les malhonnêtes gens, c’était ta cause que tu plaidais ?
Je n’ai plaidé que celle des infortunés.
Avec quel sang-froid… Je mourrais de douleur si rien de semblable…
Ami, je n’en suis que trop certain.
Et tu soutiens mes reproches !
Plût au ciel que j’eusse pu les éviter !
En fuyant honteusement.
Moi, fuir !
Ne partiez-vous pas ? — Je ne parle point du tort que tu fais à tes garants ; mais, malheureux, n’avez-vous donc attendu, pour vous déshonorer, que le temps nécessaire pour apprendre à n’en point rougir ?
Ah ! monsieur !
N’avez-vous jamais été blâmé pour l’action même dont votre vertu se glorifiait ?
Invoquer la vertu lorsqu’on manque à l’honneur !
Monsieur…
Aurelly, je puis beaucoup souffrir de vous.
Les voilà donc, ces philosophes ! Ils font indifféremment le bien ou le mal, selon qu’il sert à leurs vues !…
Monsieur Aurelly !…
Vantant à tout propos la vertu, dont ils se moquent ; et ne songeant qu’à leurs intérêts, dont ils ne parlent jamais !
Monsieur Aurelly !…
Comment un principe d’honnêteté les arrêterait-il, eux qui n’ont jamais fait le bien que pour tromper impunément les hommes ?
J’ai pu quelquefois me tromper moi-même…
Un honnête homme qui s’est trompé ne rougit pas de mettre sa conduite au grand jour.
Il est des moments où, forcé de se taire, il doit se contenter du témoignage de son cœur.
Le témoignage de son cœur ! L’intérêt personnel renverse ici toutes les idées.
Eh bien ! injuste ami… À part.) Ah ! dieux ! qu’allais-je faire ?
Tu voulais parler.
Je ne répondrai plus.
Va, tu me fais bien du mal ; tu me rends à jamais soupçonneux, méfiant et dur. Toutes les fois que je verrai l’empreinte de la vertu sur le visage de quelqu’un, je me souviendrai de toi.
Finissez, monsieur !
Je dirai : Ce masque imposteur m’a séduit trop longtemps, et je fuirai cet homme.
Finissez, vous dis-je ! quittez ce ton outrageant ! De quel droit osez-vous le prendre avec mon père ?
Quel droit, jeune homme ? Celui que toute âme honnête a sur un coupable.
L’est-il à votre égard ?
Oui, puisqu’il se manque à lui-même.
Arrêtez ! ou je ne garde plus de mesure avec vous !…
Quel emportement, mon fils ! Il a raison ; et si j’avais à rougir de ma conduite, les reproches de cet honnête homme… Laissez-nous.