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 plus rien de sacré si l’on permettait cet
ouvrage. On abusait l’autorité par les plus insidieux rapports ; on
cabalait auprès des corps puissans ; on alarmait les dames timorées ; on
me fesait des ennemis sur le prie-dieu des oratoires : et moi, selon les
hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon excessive
patience, par la roideur de mon respect, l’obstination de ma docilité,
par la raison, quand on voulait l’entendre.

Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du porte-feuille ; que
reste-t-il des allusions qu’on s’efforce à voir dans l’ouvrage ? Hélas !
quand il fut composé, tout ce qui fleurit aujourd’hui n’avait pas même
encore germé : c’était un autre univers.

Pendant ces quatre ans de débat, je ne demandais qu’un censeur ; on m’en
accorda cinq ou six. Que virent-il dans l’ouvrage, objet d’un tel
déchaînement ? la plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol,
amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette
fiancée, celui qu’elle doit épouser, et la femme du seigneur réunissent,
pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa
fortune et sa prodigalité rendent tout puissant pour l’accomplir. Voilà
tout, rien de plus ! La pièce est sous vos yeux.

D’où naissaient donc ces cris perçans ? De ce qu’au lieu de poursuivre un
seul caractère vicieux, comme le Joueur, l’Ambitieux, l’Avare ou
l’Hypocrite, ce qui ne lui eût mis sur les bras qu’une seule classe
d’ennemis, l’auteur a profité d’une composition légère, ou plutôt a
formé son plan de façon à y faire entrer la critique d’une foule d’abus
qui désolent la société. Mais comme ce n’est pas-là ce qui gâte un
ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l’approuvant, l’ont