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ABDÈRE.

pas tant l’explication du proverbe que ce qu’il ajoute, que peut-être Cicéron a fait allusion à cela dans ses épîtres à Atticus. Il en cite deux endroits[1], dans lesquels il est visible que Cicéron ne parle d’Abdère que pour la représenter comme un lieu où les affaires se traitaient sottement, et sans rime ni raison. Mais si Érasme, qui s’est servi d’un peut-être, ne laisse pas de mériter quelque censure, que dirons-nous de ce ton affirmatif de Moréri, Cicéron fait sans doute allusion ? Qu’en dirons-nous, lorsque nous saurons à quoi l’on rapporte cette allusion ? Ce n’est pas au fait qu’Érasme a conjecturé ; la faute serait plus légère ; c’est à un certain éclat qu’il est sûr que ceux de Clazomène, chassés de l’Asie, donnèrent à la ville d’Abdère, qui la rendit si célèbre, et qui donna l’occasion à ce proverbe des Grecs, Abdère la belle. Je le répète encore, il est visible que Cicéron ne parle d’Abdère que pour en tourner en ridicule le gouvernement. C’est donc une grande faute que d’avoir dit qu’il fait sans doute allusion à l’éclat, à la gloire et à la beauté de cette ville. Mais, de plus, il n’est pas vrai que les Clazoméniens soient la cause de ce prétendu grand éclat qui fit naître le proverbe. J’avoue que, selon Solin, ils rebâtirent Abdère que le temps avait fait tomber en ruine, et qu’ils la tirent plus grande qu’elle n’était ; mais voilà tout ce que nous lisons d’eux ; et si l’on consulte Hérodote, on trouvera que les Thraces ne leur donnèrent pas même le temps de la bâtir. Après tout, n’est-il pas certain que Strabon rapporte expressément le proverbe aux Téiens, qui, pour n’être pas exposés à l’insolence des Perses, se réfugièrent à Abdère ? Le nom des Téiens n’est-il pas contenu dans le proverbe ? Outre cela, que Moréri nous dise un peu où il a trouvé que, quand les Clazoméniens vinrent bâtir cette ville dans la Thrace, on les avait chassés de l’Asie. Hérodote ni Solin n’en disent pas un seul mot. Enfin je ne vois personne qui n’entende le proverbe plutôt au désavantage qu’à l’avantage d’Abdère. Érasme même n’a point rejeté l’explication de Vadianus, quoique peu glorieuse à cette ville. Existimat convenire proverbium ubi quis fortunam tenuem, sed cum libertate conjunctam, anteponit amplis opibus, sed obnoxiis servituti. Cujus sententiæ non refragor ; num damnatus est Abderitarum aër, et item pascua. Voyez Isaac Vossius sur Pomponius Méla[2].

(D) Qui attribue à Hercule la fondation de cette ville. ] M. de Saumaise [3] n’a prouvé, que par le témoignage de Tzetzés, que la fondation d’Abdère ait été attribuée à Hercule : il pouvait en donner un meilleur garant ; car nous apprenons d’Apollodore [4] qu’Hercule, ayant enlevé les cavales de Diomède, fut averti que les Bistons avaient pris les armes ; que là-dessus il donna ces cavales à garder à un jeune homme qu’il aimait, nommé Abdère, et marcha contre les Bistons ; qu’il en tua une partie ; qu’il mit les autres en fuite ; qu’il tua aussi Diomède ; mais qu’à son retour il trouva que les cavales avaient mis Abdère en pièces ; qu’il bâti une ville auprès du tombeau de ce jeune homme, et qu’il livra ces cavales à Eurysthée. Étienne de Byzance dit seulement que la ville d’Abdère fut ainsi nommée à cause d’Abdère, mignon d’Hercule[5] ; il ne dit point si ce fut Hercule qui la bâtit, ou si ce fut le jeune mignon. Ce dernier sentiment est rapporté par Marcien d’Héraclée [6]. Le septième livre de Strabon, si on l’avait tout entier, déciderait peut-être la chose : les extraits que l’on en a marquent seulement que le nom de la ville d’Abdère est celui d’un homme qui fut mangé par les chevaux de Diomède. Remarquez qu’Hygin semble dire fort clairement qu’Abdère était un des domestiques de Diomède, et qu’il fut tué par Her-

  1. Epist. XVI, libr. IV, et Epist. VII, lib. VII.
  2. Page 135.
  3. Salmasii Exercitat. Plinian., page 160.
  4. Apollodori Biblioth., lib. II.
  5. Ἀτὸ Ἀϐδηρίτου τοῦ ὑιοῦ Ἡρίμου Ἡρακλέους ἐρωμένου. Saumaise a fort bien dit qu’au lieu d’Αϐδηρίτον il faut lire Ἀϐδήρον, qui est le nom qu’Apollodore (il dit Apollonius) a donné au mignon d’Hercule. Pinedo et Berkelins disent qu’il faut corriger ainsi ; mais il n’avertissent pas que Saumaise l’avait remarqué avant eux. Le premier cite Apollonius, et n’a pas pris garde que c’était une faute d’impression, ou de mémoire, dans Saumaise pour Apollodore. On pouvait citer Philostrate.
  6. Apud Salmasii Exercit. Plinian. p. 60.