Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
455
ALLATIUS.

Il fut élu à Naples grand-vicaire de Bernard Justiniani, évêque d’Anglona. Il retourna dans sa patrie ; et, n’y trouvant rien à faire selon ses désirs, il revint à Rome où il étudia en médecine sous Jules César Lagalla, et voulut recevoir le doctorat en cette science. Il tourna ensuite ses études du côté des belles-lettres, et enseigna le grec dans le collége de sa nation. La mort de Grégoire XV lui fit perdre la récompense de la commission qu’il avait eue, de faire transporter à Rome la bibliothéque de l’électeur palatin [1]. Il entra quelque temps après chez le cardinal Bichi[* 1] ; puis chez le cardinal François Barberin : enfin il reçut du pape Alexandre VII la garde de la bibliothéque du Vatican. Lorenzo Crasso ne dit que cela dans le livre que j’ai cité. J’y ajoute qu’Allatius avait été long-temps bibliothécaire du cardinal Barberin.

(B) M. Claude en fait une peinture trés-peu honorable. ] Allatius « était un Grec qui avait quitté sa religion pour embrasser la Romaine ; un Grec, que le pape avait fait son bibliothécaire ; l’homme du monde le plus attaché aux intérêts de la cour de Rome ; l’homme du monde le plus malin, et le plus outrageux contre les personnes ; l’homme du monde le plus animé contre les Grecs, qu’on appelle schismatiques, et en particulier contre Cyrille ; et au reste, un vrai vendeur de fumée[2]... Son attachement à la cour de Rome paraît dès l’entrée de son livre de Perpetuâ Consensione ; car voici comme il parle en faveur du pape[* 2] : Le pontife romain, dit-il, ne relève de personne ; il juge tout le monde, et n’est jugé de qui que ce soit : il lui faut rendre obéissance, encore qu’il gouverne iniquement ; il donne les lois sans en recevoir ; il les change comme il lui plaît ; il crée les magistrats, il détermine les choses de la foi, il ordonne comme bon lui semble des grandes affaires de l’Église. Quand il voudrait errer, il ne le peut ; car il n’y a ni infidélité, ni illusion, qui puisse aller jusqu’à lui : et quand un ange dirait autrement, étant muni comme il est de l’autorité de Jésus-Christ, il ne peut changer. L’aigreur avec laquelle il traite ceux contre qui il dispute, comme Chytréus, Creygthon, l’archevêque de Corfou, et quelques autres, qu’il attaque de gaieté de cœur, se découvre par la simple lecture de ses écrits : chaque période les honore de quelqu’un de ces beaux titre, sots, menteurs, hébétés, champignons pouris, bouches infernales, garnemens, impudens, et autres termes semblables [* 3], qui ne marquent pas un esprit extrêmement modéré. Pour nous prouver la conformité de l’Église grecque avec la romaine dans les choses essentielles, il prend pour principe de ne reconnaître pour la véritable église grecque, que le parti soumis au siége de Rome ; et, à l’égard des autres Grecs, qu’il appelle hérétiques et schismatiques, il soutient fièrement qu’on fait bien, quand on peut, de les réduire à l’obéissance par le fer et par le feu ; qu’il faut proscrire, exterminer, punir les hérétiques, et, s’ils sont opiniâtres, les mettre à mort et les brûler[* 4] : ce sont ses termes. » M. Moréri n’avait-il pas beaucoup de raison de le traiter de bon homme ? Cet éloge méprisant est-il dû à ceux qui ne parlent que de lois pénales, que d’extirpation, que de droit du glaive, que de fer et que de feu, quand il s’agit de savoir ce qu’il faut faire aux hérétiques ?

(C) M. Simon ne lui donne guère de bonne foi. ] Tout le premier chapitre de l’Histoire Critique du Levant a pour but de faire voir que Léon Allatius s’est emporté sans raison contre Caucus, archevêque de Corfou ; que Caucus n’a point imputé aux Grecs des opinions, ou des pratiques qu’ils n’aient pas ; et qu’Allatius, pour être agréable au pape Urbain VIII, qui avait alors formé le des-

  1. * Leduchat remarque qu’il fallait écrire Biscia au lieu de Bichi.
  2. (*) Allat. de Perpet. Cons., lib. I, cap. II.
  3. (*) Vide Allat. de Perpetuâ Cons., lib. III, cap. XV, XVI, XVII, XVIII, et advers. Creygth. passìm.
  4. (*) Allat. de Perpet. Cons., lib. II, cap. XIII, et lib. III, cap. XI.
  1. Moréri met cela à l’an 1621 ; mais Heidelberg ne fut pris qu’en 1622.
  2. Claude, Réponse au livre de M. Arnaud, liv. III, chap. XII, tom. I, pag. 452, édit. in-8°.