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ALEANDRE.

bons mets, de manger plus qu’il ne fallait, eu égard à un estomac aussi débile que le sien ; c’est pourquoi il tomba malade et ne put guérir de sa maladie[a]. Le cardinal son maître lui fit faire de magnifiques funérailles à l’académie des Humoristes, et les académiciens ses confrères portèrent son corps au sépulcre[b]. Gaspar de Siméonibus y prononça l’oraison funèbre, le 31 de décembre 1631. Elle fut imprimée à Paris, l’an 1636. Aléandre avait une manière d’écrire si nette et si dégagée, que le compliment qu’un de ses amis lui en fit mérite une réflexion (B).

  1. M. Baillet, Jugem. sur les Poët., num. 1420, et Witte, dans son Diarium Biograph., IIe. part., pag. 40, mettent sa mort à l’an 1631. Witte le nomme Alexander.
  2. Tiré de Nicius Erythræus, Pinacoth. I. Voyez aussi Altatius in Apibus Urbanis, pag. 123, 124, 125.

(A) Il expliqua des Antiques. ] C’étaient deux marbres, une table, et une statue. La table contenait la figure et les symboles du soleil ; la statue était entourée d’une ceinture toute pleine de gravures. Voici le titre de l’ouvrage d’Aléandre : Explicatio antiquæ tabulæ marmoreæ solis effigie symbolisque exsculptæ : Explicatio sigillorum zonæ veterem statuam marmoream cingentis. C’est un in-quarto imprimé à Rome, l’an 1616, et à Paris, l’an 1617[* 1]. Je ne doute point qu’il ne soit entré par-là dans le commerce du père Morin. Il paraît par le livre intitulé, Ecclesiæ Orientalis Antiquitates[1], qu’ils s’écrivaient quelquefois.

(B) Sa manière d’écrire lui attira un compliment… qui mérite une réflexion. ] Nicius Erythræus lui disait souvent : Lorsque je lis vos ouvrages, je me trouve un habile homme ; mais quand je lis ceux des autres écrivains, qui se piquent d’éloquence, je me trouve très-ignorant ; car je n’y entends rien. Qu’il y a peu d’auteurs latins aujourd’hui auxquels on puisse faire ce compliment ! Je ne parle point de ceux qui écrivent en style de chancellerie, ou de scolastique : je parle de ceux qui écrivent en orateurs, et qui travaillent leurs phrases. Ils ne sont propres la plupart du temps qu’à mortifier la présomption de leurs lecteurs, qui se trouvent à tout moment accrochés par quelque allusion, ou par quelque métaphore exprimée si confusément, qu’ils n’y voient goutte. Le mal est qu’on ne mortifie guère les lecteurs par ce moyen, vu que l’amour-propre les engage à rejeter la cause de ces ténèbres, non pas sur leur ignorance, mais sur le galimatias de l’auteur. Quoi qu’il en soit, je m’imagine qu’on sera bien aise de voir ici la jolie pensée de Nicius Erythræus en original : Scribendi ejusdem ratio tum in solutâ oratione tum in versibus adeò erat pura, adeò elegans, adeò perspicua, ut sæpè ex me audiret, tum demùm me mihimet doctum eruditumque videri, cùm sua legerem ; cùm autem in aliorum scripta, qui se eloquentes dici vellent, incurrerem, tum planè me indoctum omniumque rerum rudem agnoscere, eò quod verbum prorsùs in illis nullum intelligerem[2]. Cela devait lui être un motif puissant, pour ne laisser nulle obscurité dans ses éloges, et néanmoins on y en trouve. Quelques-uns ne voient pas qu’il ait exprimé clairement, si ce fut à Rome ou à Paris que la bonne chère fut fatale à Aléandre : ils croient que ce fut à Paris[3]. Pour moi, je ne doute point du contraire[* 2] : les conventions de se régaler tour à tour deux ou trois fois la semaine sentent mieux des gens qui sont en repos chez eux, que des voyageurs. Outre que le voyage, que le légat François Barberin fit en France

  1. * Joly explique que l’opuscule de J. Aléandre est réimprimé dans le tom. IV des œuvres du père Sirmond, colonne 597 à 600.
  2. * Baillet croyait que c’était de la trop bonne chère faite à Paris qu’Aléandre mourut à Rome. La Monnaie, dans une note sur le n°. 1420 des Jugemens des Savans, appuie l’opinion de Baillet contre celle de Bayle. C’est aussi l’avis de Leclerc et de Joly qui n’a pas manqué cette occasion de relever le philosophe de Rotterdam.
  1. Imprimé à Londres, l’an 1682, et à Francfort, l’an 1683, in-12
  2. Nicii Erythræi Pinacoth. I, pag. 46.
  3. Voyez les Jugemens des Savans sur les Poëtes, tom. IV, num. 1420, pag. 54.