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ALÉANDRE.

l’empereur Charles-Quint ; car c’est à quoi l’esprit du lecteur se porte tout droit. M. de la Monnaie a deviné très-heureusement qu’Anglicum a été mis à cause qu’Érasme avait écrit en abrégé ãplicum pour apostolicum.

Il faut pour le moins qu’on voie ici un passage d’Érasme à l’avantage d’Aléandre : Etiamsi nominâsses istum, qui Aleandrum Érasmo præfert in omnibus, nihil erat periculi. Nam et ipse plurimùm tribuere soleo Aleandro, præsertìm in litteris, nihiloque magis me lædi puto si doctior est, quàm quòd ditior est aut formosior[1]. La lettre où Érasme parle ainsi, est datée da 31 d’août 1524.

(K) Il avait un frère... plus grand maître que lui en l’art de dissimuler. ] Érasme, qui nous apprend cette particularité, ajoute que ce frère était en cela beaucoup plus dangereux qu’Aléandre, qui ne savait pas si bien cacher ses desseins. Rapportons ses propres termes : Habet fratrem apud Leodiens, hoc perniciosiorem, quòd omnia potest dissimulare, id quod non potest Aleander[2].

  1. Epistola IV libri XXI, pag. 1065. Vide etiam pag. 814.
  2. Erasmi Epistola LI libri XX, pag. 1011.

ALÉANDRE (Jérôme), de la même famille que le précédent [a], et petit-fils maternel de Jérôme Amalthée, a été un des savans du XVIIe. siècle. Dès qu’il eut quitté le Frioul, son pays natal, pour aller à Rome, il trouva chez le cardinal Octave Bandini un emploi de secrétaire, qu’il remplit avec honneur pendant près de vingt ans. Il avait commencé de fort bonne heure à subir les hasards de l’impression ; car à peine avait-il reçu ses degrés de jurisconsulte, qu’il avait mis au jour un Commentaire sur les Institutes de Caïus. Il ne laissa point engourdir sa plume à Rome ; car s’étant agrégé des premiers à l’académie naissante des Humoristes, il avait toujours quelque composition à y faire voir ; et il fit même en langue italienne un Traité fort docte sur la devise de cette assemblée. La fécondité de son génie et de ses études se montra par divers écrits sur différentes matières. Il expliqua des antiques (A) : il écrivit sur la question des églises suburbicaires, et publia un ouvrage contre celui qu’un anonyme [b] avait composé là-dessus en faveur des protestans[* 1]. Un volume de ses vers sortit de dessous la presse, et fut suivi d’une apologie de l’Adonis du cavalier Marin, contre les rudes attaques du cavalier Stiliani. Urbain VIII lui témoigna avantageusement son estime ; car il travailla lui-même à le tirer du service du cardinal Bandini, pour l’attacher à celui des Barberins ; de sorte qu’Aléandre devint secrétaire du cardinal François Barberin, neveu de ce pape. Il fut du voyage de France, lorsque ce cardinal y alla avec le caractere de légat à latere. Il ne succomba point aux fatigues de ce long voyage : il les soutint courageusement ; il s’en tira fort bien, malgré la délicatesse de son tempérament et sa petite santé. Il n’eut pas la même force à l’égard de la bonne chère. Il était convenu avec quelques-uns de ses intimes amis qu’ils se régaleraient tour à tour de trois en trois jours : il ne pouvait s’empêcher, en présence de tant de

  1. * Joly remarque que cet anonyme n’était point Saumaise, mais Jacques Godefroy, dont l’ouvrage parut en 1617.
  1. On les distingue, en appelant l’autre Aleander Senior, et celui-ci Aleander Junior.
  2. C’était Saumaise.