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ALCMÈNE.

premier passage Alcmæon par Alcman. Il est visible, par le règne d’Ardys, roi de Lydie, sous lequel Cratès a placé Alcman, que ce poëte florissait environ la 30e. olympiade, temps auquel on met Alcmæon dans la Chronique d’Eusèbe. Si cette raison ne suffit pas pour montrer qu’il faut réduire ces deux noms à une même personne, on vous prouvera invinciblement qu’Alcmæon, Ἀλκμαίων, et Alcman, Ἀλκμάν, ne diffèrent que de dialecte ; et que le premier se doit convertir au second, par les règles de la dialecte dorique. Voyez le Commentaire de Saumaise sur Solin, à la page 885. L’Alcman de la 42e. olympiade est une chimère. On le place là, parce qu’on avait lu des auteurs qui s’étaient trompés sur l’âge d’Alcman.

(E) Je ne vois point de nécessité de reconnaître deux Alcmans, l’un de Lacédémone, l’autre de Messène. ] Suidas est, je pense, le seul qui le fait. Or, son autorité n’est pas fort grande, lorsqu’il ne cite personne, et qu’il ne marque point de circonstances. Voilà le cas de son Alcman de Messène, il n’en dit rien. Souvenons-nous qu’il a dit que le véritable Alcman était né à Messoa, ἀπὸ Μεσσόας. Ce lieu n’est pas autrement célèbre ; et c’est ce qui aura fait juger à quelques copistes, qu’il fallait lire ἀπὸ Μεσσήνης, dans les auteurs qui avaient débité la même chose que Suidas. Leur prétendue correction aura forgé un nouvel Alcman, que l’on aura cousu aux centons de Suidas. Cette conjecture me paraît plus vraisemblable que celle de Lilius Gyraldus. Il ne reconnaît qu’un Alcman ; mais il le veut natif de Messène, et il corrige dans Suidas ἀπὸ Μεσσόας par ἀπὸ Μεσσήνης. Scaliger rejette avec raison cette conjecture[1].

  1. Scalig. Animadv. in Euseb., num. 1360.

ALCMÈNE, fille d’Électryon (A), roi de Mycènes, fut femme d’Amphitryon, et mère d’Hercule. Elle accoucha de ce fils pendant la vie de son mari ; et cependant Hercule n’était point fils d’Amphitryon, mais de Jupiter, qui, faisant semblant d’être le mari d’Alcmène (B), fut admis sans nul scrupule aux fonctions matrimoniales. Le jeu lui plut de telle sorte, qu’il fit durer cette nuit-là trois fois plus qu’à l’ordinaire (C). Voilà d’où sortit Hercule. La plupart des auteurs modernes disent qu’Alcmène était déjà grosse du fait d’Amphitryon ; mais Apollodore insinue assez clairement qu’elle était encore fille (D) ; et c’est tourner mieux la chose à l’honneur de Jupiter. Quoi qu’il en soit, Amphitryon revint chez lui le jour même qui succéda à la longue nuit que ce Dieu avait passée avec Alcmène. Il ne trouva point que sa femme le reçût avec les empressemens qui accompagnent la première vue après une absence, et il en sut bientôt la raison par l’histoire qu’elle lui fit de la nuit dernière. Ceux qui se mettront à sa place pourront nous dire les pensées qu’il eut là-dessus. Il alla d’abord au devin, et il sut de Tirésias que Jupiter, déguisé en Amphitryon, avait eu affaire avec Alcmène. Ce fut à lui à se consoler ; et il ne paraît pas que son chagrin ait été fort long, puisque dès la nuit suivante il fit un enfant à sa femme, déja grosse du fait d’un Dieu[a]. Junon, par un effet de sa jalousie ordinaire, traversa le plus qu’elle put les couches de cette femme ; et ce ne fut que par l’adresse d’une servante que l’on éluda les mauvaises intentions de Lucine (E), qui empêchait Alcmène de se délivrer. Elle accoucha de deux garçons : celui dont Jupiter était

  1. Ex Apollodori Bibliothec., lib. II, p. 97 et sequent. Hygin, chap. XXIX, dit qu’il ne coucha plus avec elle, et ne parle que d’Hercule.