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ALCYONIUS.

ou par quelque autre moyen. Je ne vois presque personne qui fasse attention à ce dernier passage d’Érasme. On s’arrête au premier comme si c’était là que l’on trouve le vrai sens : il s’en faut bien qu’on l’y rencontre ; car pour peu qu’on voie ce que dit Érasme sur les paroles d’Aristote, on se défie entièrement de l’explication qu’il avait donnée en un autre endroit. J’avoue que ce passage d’Aristote est obscur, qu’on le lit différemment, et qu’il n’est pas peut-être sans quelque lacune ; mais il n’y a nulle apparence que par l’apologie d’Alcinoüs, on s’y doive figurer des contes de Ma Mère l’Oie. Gilbert Cousin, qui a fait un recueil de proverbes depuis Érasme, se figure néanmoins cela, quoiqu’il ne considère la chose que selon la citation d’Aristote [1]. Il y a un passage d’Élien, où Alcinoi Apologi, Ἀλκίνοου ὰπόλογοι, ne se peut prendre que pour les discours qu’Ulysse fait à ce prince dans l’Odyssée[2].

(E) On aimait dans son royaume la bonne chère, et les commodités de la vie. ] C’est de quoi Alcinoüs ne fit point mystère à Ulysse : Nous aimons, lui dit-il, les repas, la musique, la danse, le changement d’habits, les bains et le lit.

Αἰεὶ δ᾽ ἡμῖν δαίς τε ϕίλη κίθαρίς τε, χοροί τε
Εἱματά τ᾽ ἐξημοιϐὰ, λοετρά τε θερμὰ, καὶ εὐναί[3].

Semper autem nobis conviviumque gratum, citharaque, chorique,

Vestesque ad permutandum alternatìm, lavacraque calida, et cubilia.


Horace exprime cela en cette manière :

..............Alcinoïque
In cute curandâ plus æquo operata juventus,
Cui pulchrum fuit in medios dormire dies, et
Ad strepitum citharæ cessatum ducere curam[4].


Il n’est pas besoin d’avertir que, par Alcinoï juventus, il faut entendre les jeunes gens du royaume d’Alcinoüs. Athénée parle quelquefois de la vie voluptueuse des Phæaques.

  1. Cognat. in Proverb. num. 210 : il cite, comme Érasme, le IVe, livre de la Rhétorique d’Aristote.
  2. Ælian. Var. Histor., lib. XIII, cap. XIII.
  3. Homeri Odysseæ lib. VIII, vs. 248.
  4. Horat. Epist. II libri I, vs. 28, seqq.

ALCYONIUS (Pierre) a été un de ces doctes Italiens qui cultivèrent les belles-lettres dans le XVIe. siècle. Il acquit une intelligence fort raisonnable[* 1] du grec et du latin, et fit quelques pièces d’éloquence qui ont mérité l’approbation des connaisseurs. Il fut correcteur d’imprimerie pendant long-temps à Venise, chez Alde Manuce (A) ; et il doit par conséquent avoir part aux éloges que l’on donne aux éditions de ce savant imprimeur. Il a traduit en latin plusieurs Traités d’Aristote [a], et n’y a guère réussi. Sépulvéda écrivit contre ces versions, et y remarqua tant de fautes, qu’Alcyonius ne trouva point de meilleur remède à sa disgrâce que d’acheter autant d’exemplaires qu’il lui fut possible de l’écrit de Sépulvéda, pour les jeter dans le feu (B). Paul Jove l’accuse d’un second défaut, qui est plus honteux que le premier : C’est d’avoir été un impudent parasite (C), qui ne faisait point difficulté de manger deux ou trois fois hors de chez lui dans un même jour. Je ne sais s’il en faut croire tout-à-fait Paul Jove ; car il se brouilla avec Alcyonius[b] dès qu’il eut ouï dire qu’il avait en lui un rival dans la commission d’écrire l’histoire (D). Le Traité qu’Alcyonius fit imprimer touchant l’Exil contenait tant de beaux endroits parmi d’autres assez chétifs, qu’on crut qu’il avait cousu à ses pensées plusieurs mor-

  1. * J. Leclerc, dans sa Bibl. choisie, trouve étrange cette expression d’intelligence fort raisonnable du latin, quand il s’agit d’un homme que peu de Cicéroniens ont égalé.
  1. Voyez-en la liste dans La Bibliothéque de Gesner.
  2. Voyez les Épîtres des Princes, fol. 92, verso.