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ALBUTIUS.

voulu dire que Scévola fut mêlé dans le procès de concussion qui fut intenté à Albutius ; et tellement mêlé, que de sa condamnation devait résulter la justification d’Albutius. Je suppose, selon cette conjecture, que Scévola plaida sa cause à la charge d’Albutius, et que de là est venu qu’il a passé pour l’accusateur. Je suppose qu’il se tira pleinement d’affaire, ce qui servit à la conviction d’Albutius. Je suppose, outre cela, que ce dernier se servit des registres du crieur Granius, pour convaincre Scévola, et que sa preuve fut jugée insuffisante. Granius fut très-aise de l’absolution de Scévola, et en fut raillé, comme s’il se fût réjoui que les juges n’eussent eu aucun égard à ses livres ou à ses procès verbaux. Voici les paroles de Cicéron : Bella etiam est familiaris reprehensio quasi errantis, ut quùm objurgavit Albius Granium, quòd quùm ejus tabulis quiddam Albutio probatum videretur, et valdè absoluto Scævolâ gauderet, neque intelligeret contra suas tabulus esse judicatum[1]. Si l’on voulait d’autres preuves de l’inimitié d’Albutius et de Scévola, je pourrais dire que Lucilius a introduit Scévola se moquant du style d’Albutius [2]. Je voudrais bien savoir d’où le père Proust a pris que la colère de Lucilius contre notre Scévola venait de l’amitié qu’il avait pour Albutius, contre lequel Scévola avait plaidé [3] ? Si Lucilius était ami d’Albutius, il a vérifié la maxime, qu’un railleur préfère ses railleries à ses amis[4] ; car nous avons vu comment ce poëte satirique se divertissait aux dépens d’Albutius.

(F) Les Dictionnaires ne sont pas ici exempts de fautes. ] 1°. Charles Étienne prétend que Varron a parlé de votre Titus Albutius ; et cela, comme d’un poëte qui avait fait des satires à la manière de Lucilius, Luciliano stylo. Mais, quand on consulte Varron, on trouve qu’il a parlé d’un Lucius Albutius : Nonne item L. Albutius, homo (ut scitis) apprimè doctus, cujus Luciliano charactere sunt libelli, dicebat in Albano fundum suum pastionibus semper vinci à villâ, agrum enim minùs dena millia reddere, villam plus vicena[5]. 2°. Il n’est pas vrai que Lucilius se soit moqué d’Albutius, comme d’un homme qui mêlait des mots grecs avec son latin : Charles Étienne n’a pas pris le sens de ce poëte : il s’est imaginé que le χαῖρε appartenait à Albutius ; cependant, c’est à Scévola et à ses gens qu’il le faut donner. Messieurs Lloyd et Hofman n’ont point corrigé ces deux fautes. Prenez bien garde que je ne prétends pas nier qu’Albutius ne mêlât du grec à son latin. 3°. Ce que Charles Étienne, Lloyd et Hofman supposent est très-incertain, que le père de l’empoisonneuse Canidia soit le même Albutius dont il est parlé dans la IIe. satire du IIe. livre d’Horace. M. Dacier croit que ce sont deux Albutius[6]. 4°. Ces trois auteurs de Dictionnaires se trompent lorsqu’ils prennent l’Albutius de la IIe. satire du IIe. livre d’Horace pour un avare fieffé. Nous verrons bientôt que cela est faux. 5°. M. Moréri se trompe quand il s’imagine que l’Albutius dont Cicéron parle au commencement du Ier. livre des Fins, n’est pas le même que celui dont il fait mention au Ier. livre de la Nature des Dieux, et au Ve. livre des Questions Tusculanes. 6°. Il n’est pas vrai qu’Horace dise qu’il y avait un Albutius, le plus avare de tous les hommes, qui avait accoutumé de châtier ses domestiques avant qu’ils entreprissent ce qu’il leur commandait, de peur, disait-il, qu’il n’oubliât de le faire s’ils oubliaient de se bien acquitter de ce qu’il leur commandait. M. Moréri, qui donne tout ce discours à Horace, a été trompé par Charles Étienne, encore que ce dernier n’attribue pas formellement à Horace ce petit conte. Voici tout ce que dit Horace sur ce sujet :

Mundus erit, qui non offendet sordidus, atque
In neutram partem cultùs miser. Hic neque servis
Albutî senis exemplo, dùm munia didit,
Sævus erit : neque, sicut simplex Nœvius, unctam
Convivis præbebit aquam[7].

  1. Cicero, lib. II, de Oratore, cap. 70.
  2. Voyez ci-dessous la remarque (G).
  3. Proust. Comment. in usum Delphini in Ciceron. de Orat., lib. I, num. 72.
  4. .......Dummodò risum

    Executiat sibi, non hic cuiquam parcet amico.

    Horatii Sat. IV. lib. I, vs. 34.

  5. Varro de Re Rusticâ, lib. III, cap. II.
  6. Dacier, Remarq. sur la Satire Ire, du IIe. livre, pag. 40.
  7. Horat. Satir. II, lib. II, vs. 65.