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ALABASTER.

cisme : on sait assez que c’est la coutume de ceux qui changent de religion. Cette coutume était même plus en vogue en ce temps-là qu’aujourd’hui. Le public n’avait pas encore eu le temps de se dégoûter de cette sorte de livres. Celui d’Alabaster fut réfuté par Roger Fenton[a].

  1. Sa réponse est intitulée, An Answer to W. Alabaster’s Motives. London, 1599, in 4°.

(A) Sa méthode d’expliquer l’Écriture ne fut point du goût des catholiques romains. ] François Garasse, jésuite, après avoir rapporté une opinion assez grotesque d’Isidore de Peluse[1], continue ainsi : « L’exposition d’Alabaster est encores plus esloignée du sens commun ; car il s’en va ravaudant sur des fantaisies rabbinesques, qui sont à la vérité plaisantes, si elles estoient aussi solidement fondées, comme elles sont subtilement controuvées. Il dit en son Apparat, ch. ix, que Jonas et N. S ont demeuré ponctuellement trois jours et trois nuicts, l’un dans le ventre de la terre, et l’autre dans le ventre de la baleine, en la façon qui s’ensuit. Jonas, dit-il, fut porté jusques au centre du monde, comme il le dépose luy-mesme : Ad extrema montium descendi, terræ vectes circumdederunt me. Or est-il, qu’estant en cet endroit, il avoit le jour et la nuict tout à la fois ; car regardant vers nostre hémisphere, il avait le jour en face, et la nuict à dos : et puis le lendemain, tout au contraire ; de façon que n’ayant que demeuré un jour et demi, il y a demeuré trois jours entiers, d’autant qu’il faut doubler l’espace, pource qu’il avoit tout à la fois ce que nous avons successivement. Ainsi, nostre Seigneur estant dans le ventre de la terre, a eu comme Jonas le jour et la nuict tout à la fois ; d’autant que son âme s’en est allée jusques au centre de la terre, afin d’avoir le jour d’un costé, et la nuict de l’autre, et par ainsi accourcir le terme de sa demeure sans forcer la vérité, tant il avait d’impatience de laisser ses disciples désolez. Je dis que cette invention faict tort à l’Escriture sainte, d’autant qu’elle est trop contraincte et sophistiquée, et ressemble justement les fantaisies des rabbins ; et partant, ce n’est pas sans sujet que le livre d’Alabaster a esté condamné à Rome : mais il fut si idolastre de ses inventions, qu’il fit encores pis que Héliodore, pource qu’il quitta sa religion, pour ne quitter pas ses grotesques dangereuses qu’il a faits sur l’Écriture sainte[2]. » Joignons le jugement d’un jésuite du Pays-Bas à celui de ce jésuite français. Boufrerius, ayant condamné ceux qui par les machines de la cabale trouvent tout dans chaque passage de l’Écriture, poursuit ainsi : Quod nuper fecit insulsè nimis et irreligiosè Guilielmus Alabaster, qui in illo suo Apparatu ex inanibus hujusmodi fundamentis, ne dicam quisquiliis, conatus est nobis suam mysticam theologiam, et (ità ipse vocat) interiorem Scripturæ sensum ad medullam (re ipsâ aliud nihil quàm deliramenta et somnia) exprimere. Quâ ex re malè audiit et Romæ censoriam Ecclesiæ virgulam meritò expertus est. Quis enim ferat quempiam in re tam seriâ, Scripturæ inquam interpretatione, pro probatis mercibus vendere quæ ipse parùm sano cerebro delirârit[3] ? Il rapporte ensuite quelques exemples des explications chimériques de cet homme.

Nous entendrons bientôt un protestant qui reproche aux catholiques romains d’avoir toléré les visions de cet Alabaster.

J’ai été averti par un habile homme que les lecteurs n’aiment pas qu’on leur indique en général qu’un tel ou un tel ont avancé une opinion chimérique ; cela réveille leur curiosité : ils voudraient la contenter sur-le-champ, et quelquefois même sans être obligés d’aller prendre un autre livre qu’ils ont dans leur cabinet. Cet habile homme aurait donc voulu, ou que je n’eusse rien dit d’Isidore de Peluse,

  1. Vous la trouverez à la fin de cette remarque.
  2. Garasse, Doctrine curieuse, imprimée à Paris, chez Chapelet, l’an 1623, in-4°., pag. 593, 594.
  3. Bonfrerius, dans les Prolégomènes de son Commentaire sur le Pentateuque, imprimé en 1625, in-fol.