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AKIBA.

la loi non écrite (E). La remarque que nous faisons là-dessus contiendra quelques particularités de sa vie. S’il fallait juger de ses leçons par ses préceptes de garde-robe (F), on aurait lieu de les traiter de ridicules.

(A) On s’imagine qu’il a supposé un ouvrage au patr. Abraham. ] Ce livre[* 1] est intitulé Sepher Jezirah, c’est-à-dire, le Livre de la Création. Voyez la remarque (E) de l’article Abraham, et ajoutez-y ce supplément. Lambecius ne devait pas dire que ce livre de la Création fut imprimé à Mantoue la première fois[1] ; car l’édition de Mantoue, in-4o., accompagnée du commentaire d’Abraham Ben-Dior, et de celui de plusieurs autres rabbins, dont vous trouverez les noms à la page 536 de l’Histoire critique du Vieux Testament, avait été précédée par l’édition de Paris, en 1552, in-8o. Le même livre a été imprime à Bâle, in-folio, l’an 1587, avec plusieurs autres de même trempe. Il est d’un grand poids chez les cabalistes : ils s’en servent à faire des miracles, disent-ils [2].

(B) On l’accuse d’avoir altéré le texte hébreu de la Bible. ] Cette altération se rapporte à l’âge qu’avaient les patriarches, lorsqu’il leur naissait des enfans. Personne n’ignore qu’en cette année-là ils étaient plus vieux, selon la Bible des Septante, que selon la Bible Hébraïque. Adam, par exemple si nous suivons le texte hébreu, avait cent trente ans, lorsque sa femme accoucha de Seth ; mais, selon la version des Septante, il était alors dans sa deux cent trentième année. La plupart des théologiens veulent qu’on préfère le texte hébreu au texte grec. Ceux qui tiennent l’autre parti sont en petit nombre ; mais en récompense, ce ne sont pour l’ordinaire que des savans d’élite. Le père Dom Paul Pezron, religieux de l’étroite observance de Cîteaux, et docteur en théologie de la faculté de Paris, s’est rangé au petit nombre. Il a débité, entre autres choses, que les Juifs ont altéré le texte hébreu dans le temps qui a coulé depuis la ruine de Jérusalem sous Tite, jusques à la douzième année de l’empereur Adrien[3]. Il le prouve par la version d’Aquila, publiée l’an douze de cet empereur, et assez conforme au texte hébreu d’aujourd’hui. Or, comme cet Aquila, en passant du christianisme au judaïsme, se mit sous la discipline d’Akiba, il paraît fort vraisemblable au père Pezron, qu’il faut imputer à ce rabbin cette altération de l’Écriture. Il est certain qu’Akiba était alors en grande estime parmi les Juifs, et surtout parmi ceux de la Palestine ; car il fut environ quarante ans le maître du collége qu’ils avaient à Jabné, ou à Tibériade, proche du lac de Genezareth[4]..... Il avait beaucoup de disciples, passait pour le plus savant d’entre les Juifs, et avait tant de créance dans leur esprit, que ce fut lui qui déclara que Barcochebas était le Messie[5].

(C) Afin de pouvoir répondre à une objection des chrétiens. ] « Jamais les chrétiens ne disputèrent contre les juifs plus fortement qu’en ce temps-là, dit le même auteur[6], et jamais aussi ils ne les combattirent plus efficacement. Car ils ne faisaient que leur montrer d’un côté les Évangiles, et de l’autre les ruines de Jérusalem, qui étaient devant leurs yeux, pour les convaincre que Jésus-Christ, qui avait si clairement prédit sa désolation, était le prophète que Moïse avait promis........ Mais ils les pressaient vivement par leurs propres traditions, qui portaient que le Christ se manifesterait après le cours d’environ six mille ans, en leur montrant que ce nombre d’années était accompli. Cela les embarrassait étrangement ; et c’est sans doute la raison pourquoi il est dit dans le Talmud, qu’Akiba et Samsai supputaient les années[7], dont on tirait contre eux de si puissans argumens. »

  1. * Joly reproche à Bayle de donner le titre de Livre à un opuscule qui, bien qu’en cinq chapitres, est renfermé en trois pages de gros caractères, dans les Artis cabalisticæ scriptores.
  1. Lambecii Histor. Litterariæ Prodrom., pag. 53, apud Placcium de Pseudonymis, pag. 134.
  2. Placcius, ibid.
  3. Pezron, de l’Antiquité des Temps, chap. XVI, p. 289. Édit. de Paris, en 1687, in-4°.
  4. Là même, pag. 290
  5. Là même, pag. 291.
  6. Là même.
  7. Talmud, in Tractatu de Synedrio.