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AJAX.

selon quelques-uns, non par les suffrages des princes grecs, mais par la décision des Troyens, auxquels on avait demandé lequel leur avait fait plus de mal, d’Ajax ou d’Ulysse[a]. Le fondement de cette opinion est expressément contenu dans le onzième livre de l’Odyssée. Ajax ressemblait en plusieurs choses à Achille ; il était colère et mal-endurant comme lui[b], et invulnérable par tout le corps, à une partie près (C). On connaîtrait peu la mythologie, si l’on croyait que les causes et les circonstances de sa mort n’ont pas été rapportées en plusieurs manières, dont les unes détruisent les autres (D). Un des caractères d’Ajax était l’impiété (E) : ce n’est pas qu’il crût que les dieux n’avaient pas un grand pouvoir ; c’est qu’il s’imaginait que, les plus lâches pouvant vaincre par leur entremise, il n’y avait point de gloire à vaincre de cette façon. Il ne voulait être redevable de la victoire qu’à son courage. On a feint que son âme, ayant la liberté de choisir un corps[c] pour retourner dans ce monde, préféra celui d’un lion à celui d’un homme : tant elle détestait le genre humain en se souvenant de l’injustice qu’on lui avait faite touchant les armes d’Achille. Nous dirons ailleurs[d] quelque chose de la postérité qu’il laissa, d’où sortit la famille de Miltiade. Les poëtes ont donné à Ajax le même éloge que l’Écriture Sainte donne au roi Saül à l’égard de la taille[e]. Il fut le sujet de plusieurs pièces de théâtre, tant en grec qu’en latin[f]. Le fameux comédien Ésope n’aimait pas à les jouer [g]. Les Grecs rendirent beaucoup d’honneurs à ce brave capitaine après sa mort[h]. Ils lui dressèrent un superbe monument sur le promontoire de Rhétée (F). On a conté quelques aventures miraculeuses touchant ce tombeau (G). La faute que Ronsard crut avoir faite touchant Ajax (H) fut corrigée dans une nouvelle édition.

  1. Eustathius, et Scholiastes in Odysseæ lib. XI ; Scholiast. Aristophan. in Equit.
  2. Plutar. Symposiac., lib. I, sub fin., pag. 629. Cicero, de Officiis, lib. I, cap. XXXI.
  3. Plato, de Republ., lib. X, pag. 765.
  4. Dans l’article Tecmesse.
  5. Voyez la remarque (G).
  6. Auguste en avait commencé une. Voyez Suétone, dans sa Vie, chap. LXXXV.
  7. Cicero de Officiis, lib. I, cap. XXXI.
  8. Quintus Calaber, lib. V ; Dictys Cret. lib. V.

(A) C’était, après Achille, le plus vaillant capitaine grec. ] C’est sur le témoignage de plusieurs poëtes, que je fais cette restriction :

Ἀνδ ρῶν δ᾽ αὖ μέy᾽ ἄριςος ἔην Τελαμώνιος, Αἴας,
Ὄϕρ᾽ Ἀχιλεὺς μήνιεν. (ὅ γὰρ πολὺ ϕέρτατος ἦεν.)[1]

Virorum verò longè prœstantissimus erat Telamonius Ajax,
Intereà dùm Achilles in odio permanebat ;
(nam is multò fortissimus erat.)


Pindare appelle Ajax κράτιςον, Ἀχιλέος ἄτερ, μάχᾳ[2] ; strenuissimum, excepto Achille, in pugnâ. Sophocle en dit autant[3]. Horace n’en dit pas moins : Ajax Heros ab Achille secundus [4]. Plutarque rapporte comme une tradition qui ne recevait point de difficulté, qu’Ajax était le plus beau, le plus grand, et le plus vaillant de tous les Grecs, après Achille[5]. Cela est bâti sur ces paroles d’Homère :

Αἴανθ᾽ ὁς περὶ μὲν εἶδος περὶ δ᾽ ἔργα τέτυκτο

  1. Homer. Iliados lib. II, vs. 768.
  2. Pindar. Nem. VII.
  3. Sophoc. in Ajace.
  4. Horat. Sat. III, lib. II, vs. 193.
  5. Plutar. Symposiac., lib IX, quæst. V, pag. 740, A.