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AGREDA.

copie de l’acte de l’abdication, où nous eussions vu que la Trinité, voulant désormais vivre en repos, et reconnoître les obligations qu’elle avoit à la Sainte Vierge, qui soutenoit si sagement depuis tant de siècles une partie considérable des fatigues de la régence du monde, n’avoit cru pouvoir rien faire de plus à propos, ni choisir une récompense plus convenable à ses mérites, que de se démettre en sa faveur de l’autorité absolue sur toutes choses. Il faut pourtant avouer que l’idée de l’action inaliénable de Dieu est si clairement connue dans toutes les communions chrétiennes, qu’il n’y a point lieu d’appréhender que ces monstre d’abdication y pût vivre quelque temps, supposé qu’il y pût naître. Nous ne devons pas craindre cela de nos jours : que cela nous suffise ; ne nous tourmentons point de ce que l’on pourra voir dans cent ans d’ici : nostros maneat ea cura nepotes.

III. Je dis, en troisième lieu, qu’il n’y a rien de plus vrai que la remarque de la Sorbonne, que le livre de l’abbesse d’Agreda contient plusieurs choses qui exposent l’Église romaine au mépris des impies et des hérétiques. Bien a valu à la religion chrétienne, que les Celsus et les Porphyres n’aient pas pu la combattre par les armes que de tels écrits infinis en nombre peuvent fournir aujourd’hui. Que n’eût point dit en ce temps-là contre l’Église un auteur païen qui aurait eu la véhémence et le caractère d’Arnobe ? Si Henri Étienne, et Philippe de Marnix revenaient au monde, quels supplémens ne feraient-ils point par la mystique cite de notre Marie d’Agreda, l’un à son Apologie d’Hérodote, l’autre à son Tableau des différens de la religion ?

IV. Enfin, je dis que nos prétendus auteurs à révélation se moquent du monde. Ils nous donnent comme révélé ce qu’ils ont appris par la lecture. Voici l’abbesse d’Agreda qui affirme que des opinions ; qui sont purement scolastiques, qui ont été enseignées divinement[1].

(C) Malgré les oppositions… d’une partie des docteurs qui la composent. ] Voici quelques extraits d’un imprimé qui a pour titre : L’Affaire de Marie d’Agreda, et la manière dont on a cabale en Sorbonne sa condamnation [2]. C’est une lettre d’un anonyme à un anonyme. L’odeur de sainteté dans laquelle est morte cette bonne religieuse, et la canonisation que l’on poursuit en la cour de Rome, m’avoient donné une si haute idée de sa personne, que je fus surpris d’apprendre que la faculté de Théologie de Paris s’assembloit pour condamner ses ouvrages. C’est ainsi que parle l’auteur [3]. Après cela, il suppose que c’étoient quelques âmes vénales, qui, à sollicitation de trois prélats, ausquels ils sont dévouez, en poursuivoient la condamnation[4]. « En voici toute l’intrigue, continue-t-il[5]. Monseigneur ***, prélat plus attaché aux sentimens de saint Thomas, qu’un jeune jacobin qui ne doit jurer qu’in verba magistri, n’a pu souffrir jusqu’à présent que la faculté ait donné avec tant de précipitation dans l’immaculée Conception de la Vierge. La haine qu’il portoit au F. Thomas Croset, recollet et traducteur de ce livre, causée par le rapport qu’on lui avoit fait de ce que le traducteur avoit dit contre lui, après le refus qu’il lui avoit fait d’une station dans son diocèse ; et l’envie de dédommager A..., imprimeur du roi, demeurant à présent ici, de la perte considérable qu’il avoit faite sur ses ouvrages, et qui avoit pris l’impression de ce livre, imprimé chez H... demeurant à Marseille, furent le fondement du trouble qui est dans la faculté ; car, pour faire vendre un livre, il suffit qu’on le veuille condamner. Chacun y court comme au feu ; et ce livre qui ne valoit que 20 s., A... le vend 10 liv., sans ce qui s’en débite sous le manteau d’une impression contrefaite. Ce prélat, pour réussir mieux dans son dessein, prévint monseigneur.…, prélat des plus

    il a donné tout jugement au Fils : et dans la Ire. aux Corinthiens, chap. XV, v. 24, quand Christ aura remis le royaume à Dieu le Père.

  1. Journal des Savans ; novembre 1696, p. 720.
  2. Quoiqu’on marque au titre qu’on l’a imprimé à Cologne, l’an 1697, je crois qu’il a été imprimé à Paris. C’est un in-12 de 40 pag.
  3. Pag. 3.
  4. Pag. 12.
  5. Pag. 13 et suiv.