Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
AGÉSILAÜS.

y avait mises[1]. Notez qu’Aristodème était celui des Héraclides qui eut pour sa part la ville de Sparte, et duquel descendirent les rois de Lacédémone divisés en deux familles, à cause des deux fils qu’il laissa. In hoc (Agesilao) illud in primis fuit admirabile, cùm maxima munera ei ab regibus et dynastis civitatibusque conferrentur, nihil unquàm in domum suam contulit, nihil de victu, nihil de vestitu Laconum mutavit. Domo eâdem fuit contentus quâ Eurysthenes [2] progenitor majorum suorum fuerat usus, quam qui intrârat nullum signum libidinis, nullum luxuriæ videre poterat : contrà plurima patientiæ atque abstinentiæ. Sic enim erat instructa, ut nullâ in re differret à cujusvis inopis atque privati[3]. Quand on eut su qu’Agésilaüs était arrivé en Égypte, on lui envoya de toutes sortes de provisions : il ne choisit que les plus communes, et laissa à ses valets les parfums, les confitures, et tout ce qui s’y trouvait de plus délicieux[4]. Les Égyptiens, au lieu d’admirer cela, se moquèrent de ce prince, et le prirent pour un niais qui ne savait pas encore ce qu’il y avait de bon au monde. Ille præter vitulina et hujusmodi genera obsonii, quæ præsens tempus desiderabat, nihil accepit, unguenta, coronas, secundamque mensam servis dispertiit, cætera referri jussit. Quo facto eum barbari magis etiam contemserunt, quòd eum ignorantiâ bonarum rerum illa potissimùm sumpsisse arbitrabantur[5]. Vous trouverez dans Plutarque, 1°. que ce prince se comporta de la même sorte quand les Thessaliens lui envoyèrent des présens ; 2°. qu’il se moqua d’eux quand ils lui offrirent les honneurs divins[6].

(H) Le cœur, l’esprit et la religion un souverain. ] Plutarque témoigne que ceux qui gouvernaient dans Lacédémone ne reconnaissaient point d’autre justice que ce qui servait au bien et à l’agrandissement de l’état [7]. C’était parmi eux la règle et la mesure du droit et de l’honnête : si une chose était utile au public, elle passait dès là pour légitime. Je crois que Plutarque dit la vérité ; mais il ne devait pas mettre en jeu la seule ville de Sparte. Celle d’Athènes[8], et celle de Thèbes, n’avaient point de meilleurs principes ; ce sont, généralement parlant, les maximes de tous les états : la différence des uns aux autres n’est que du plus au moins ; les uns sauvent mieux les apparences que les autres. Quoi qu’il en soi, Agésilaüs était tout pénétré de cette méchante morale. Se voyant soupçonné d’avoir induit Phebidas à surprendre la citadelle de Thèbes en pleine paix, et par une fraude qui faisait crier toute la Grèce, il représenta qu’il fallait, avant toutes choses, examiner si cette action était profitable à la patrie, et que chacun devait faire de son propre mouvement ce qui tendait à l’avantage de l’état[9]. Il obtint que Phebidas serait disculpé, et qu’on enverrait une garnison dans la citadelle. Dans son expédition d’Égypte, n’abandonna-t-il point Tachus, qui l’avait pris à sa solde, et n’embrassa-t-il pas les intérêts de Nectabane, par la seule raison qu’il était plus important aux Lacédémoniens de soutenir celui-ci que celui-là ? Action qui, sous le masque du bien public, était une trahison toute pure, comme Plutarque l’a remarqué. Ἀτόπου καὶ ἀλλοκότου πράγματος παρακαλύμματι τῷ συμϕέροντι τῆς πατρίδος χρησάμενος. Ἐπεὶ ταύτης γε τῆς προϕάσεως ἀϕαιρεθείσης τὸ δικαιότατον ὄνομα τῆς πράξεως ἦν προδοσία [10]. Absurdo et indigno facinori commodum prætexens patriæ : quando hoc quidem velamento detracto nomen istius facti verissimum erat proditio. En conversation, Agésilaüs ne parlait que de justice : c’étaient les plus beaux discours du monde que les siens[11]. Entendant dire qu’une certaine chose était agréable au grand roi[12]. Par

  1. Idem, ibid., pag. 606.
  2. On eût mieux fait de dire, comme Plutarque, Aristodemus ; car Agesilaüs ne descendait pas d’Eurysthènes, mais de Proclès, le second fils d’Aristodème.
  3. Corn. Nepos, in Agesilao, cap. VII.
  4. Plut. in Agesilao, pag. 616.
  5. Cornel. Nepos, in Agesil., cap. VIII.
  6. Plut. in Apophth., pag. 210, Voyez aussi Athénée, liv. XIV., pag. 657.
  7. Plut. in Agesilao, pag. 617. Idem in Alcibiad.
  8. Voyez la remarque (C) de l’article Aristide.
  9. Plut. in Agesilao, pag. 608.
  10. Id. ibid., pag. 617.
  11. Id. ibid., pag. 608.
  12. Les Grecs parlaient ainsi du roi de Perse. Voyez la remarque (A) de l’article Artaban IV.