Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
ADONIS.

un grand chasseur (C). Jugez si les poëtes n’ont pas distillé toutes les figures de leur art[a] pour représenter la douleur inexprimable qui saisit le cœur de cette déesse lorsqu’un sanglier lui eut tué son cher Adonis (D). Jamais deuil n’a été plus célébré ni plus immortalisé que celui-là ; presque tous les peuples du monde en perpétuèrent le souvenir par un grand attirail de cérémonies anniversaires (E). Quelques auteurs disent que ce ne fut pas un Sanglier, mais un Dieu, sous la forme de cette bête, qui tua Adonis. Ce fut Mars, selon quelques-uns [b] ; ce fut Apollon, selon quelques autres[c]. Mars, disent ceux-là, fit le coup afin de satisfaire sa jalousie, et pour se venger de Vénus qui lui préférait ce rival. Apollon, disent ceux-ci, se porta à cet excès de violence, afin de venger son fils Erymanthus, qui avait été aveuglé pour avoir vu Vénus pendant qu’elle se lavait, fraîche sorte d’entre les bras de son Adonis [d]. L’endroit de la plaie semble indiquer quelque principe de jalousie [e] ; mais la seconde tradition ne s’accorde pas avec ceux qui ont débité qu’Adonis était un hermaphrodite qui, en tant que mâle, jouissait de Vénus, et en tant que femelle, se donnait à Apollon[f]. D’autres, sans lui donner les deux sexes, n’ont pas laissé de dire qu’il était le favori de Vénus et de Bacchus (F). Il y a un scoliaste qui assure qu’Adonis fut aimé de Jupiter [g], et que Proserpine en devint amoureuse dans les enfers (G). Elle ne laissa pas d’avoir quelque compassion pour sa rivale désolée, qui demandait avec instance la résurrection de son amant (H) ; elle voulut bien consentir à s’en passer pendant six mois en faveur de Vénus. Il fut donc dit qu’Adonis passerait six mois avec Vénus et six mois avec Proserpine. Le scoliaste que j’ai cité nous dit là-dessus le blanc et le noir[h], et quelques-uns ne parlent pas si avantageusement de la complaisance de Proserpine [i]. On allégorise ce partage d’année, comme s’il fallait entendre par-là, ou le temps que les semences sont successivement sous la terre et sur la terre[j], ou le temps employé par le soleil à parcourir tour à tour les signes méridionaux du zodiaque et les signes septentrionaux[k]. Ces explications me paraissent moins solides que la pensée de ceux qui réduisent la fable d’Adonis à l’histoire d’Osiris[l]. Les anciens ne convenaient pas du pays où était

  1. Ovidius, Metam., lib. X. Bion, Εἰδύλλ. α. Voyez aussi Théocrite, Εἰδύλλ. λά : et entre les modernes M. Ménage, dans ses Poésies grecques, pag. 167
  2. Servius in Eclog. X ; Firm. Matern., pag. 22 ; Nonnus Dionysius, lib. XLI : Cyrillus in Esaïam.
  3. Ptolem. Hephæst. apud Photium, pag. 472.
  4. Διότι ἴδοι λουομένην Ἀϕροδίτην, ἀτὸ τῆς Ἀδώνιδὸς μίξεως. Quòd post congressum cum Adonide lavantem Venerem vidisset. Ibidem.
  5. Trux aper insequitur, totosque sub inguine dentes.
    Abdidit. Ovid. Metam., lib. X, vs. 715.

  6. Ptolem. Hephæst. apud Photium, pag. 485.
  7. Scholiast. Theocriti in Syracus., sive Eidyll. XV.
  8. Vide Seldenum, de Diis Syris. lib. II, cap XI. pag. 259 et la remarque (I).
  9. Voyez la remarque (G).
  10. Scholiast. Theocriti Eidyll. XV.
  11. Macrobius Saturnal., lib. I, cap. XXI.
  12. Voyez le IIIe. volume de la Bibliothéque Universelle, pag. 7. Berkelius, in Stephanum Byzant. Voyez Ἀμαθοῦς.