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ADAMITES.

remarquer, qu’encore que cet ancien père ne veuille pas convenir de ce que disaient les adamites ; savoir, qu’ils se dépouillaient à cause qu’ils n’avaient point de honte de leur nudité, non plus qu’Adam : il est, dis-je, à remarquer qu’encore que saint Épiphane aime mieux attribuer leur conduite à une lasciveté insatiable, qui voulait procurer des amorces à la vue[1], il ne dit pas néanmoins qu’il se fît des actions impures dans leurs assemblées. C’est donc faussement que Baronius lui impute de les avoir appelées des bordels, lupanaria : il s’est servi du terme de φωλεὸς, latibulum, et de celui de σπήλυγγα, caverna[2] ; et cela dans la signification de tanière, d’antre, et de caverne simplement, comme il paraît de ce qu’il remarque que c’est le nom qu’il voudrait donner aux conventicules des hérésies. Manifestement il fait allusion à ce qui est dit dans l’Évangile, qu’on avait fait de la maison de Dieu une caverne de brigands[3]. La notion d’impureté corporelle, ou de commerce charnel entre les deux sexes, n’a point lieu ici. Le père Gaultier a donc grand tort de dire, en citant saint Épiphane, que les adamites, ayant laissé leurs habits à la porte de leurs assemblées, se mêlaient indifféremment avec les femmes qui leur tombaient sous la main, mulieribus promiscuè utentes[4]. Pour la citation d’Alphonse de Castro, qu’on voit après celle de saint Épiphane à la marge du père Gaultier, elle ne peut que multiplier le nombre des faux accusateurs. Lambert Daneau, qui accuse de la même impureté les adamites, ne cite point saint Épiphane, mais Clément d’Alexandrie cité par Théodoret : Exstinctis in suo cœtu lucernis promiscuè coëunt, quemadmodùm ex Clemente Strom. notat Theodoretus[5]. On verra bientôt que ce passage n’a pas été bien allégué. Il est assez étrange que saint Épiphane et saint Augustin n’aient rien ouï dire de cela ; car ce sont des choses que la renommée ne laisse point périr, lorsqu’une fois elle s’en trouve saisie, à moins que la fausseté n’en devienne tout-à-fait palpable. Encore n’arrive-t-il pas toujours, en ce cas-là, que la renommée lâche prise. Voyez dans la remarque suivante le moyen d’accorder ces deux pères avec Clément d’Alexandrie.

(D) Voilà ce que saint Épiphane en rapporte. ] Il ne dit point que chacun se ruât sur sa chacune, dans leurs assemblées : c’est ce qui a été touché dans la remarque précédente. Il leur impute encore moins les hérésies de Prodicus, dont le père Gaultier donne la liste[6], et que Moréri leur impute pour la plupart. Moréri n’est pas aussi blâmable en cela, qu’en ce qu’il assure que saint Épiphane nomme leurs temples des lieux infâmes, à cause des crimes abominables qu’il commettaient dans ces cavernes d’horreur et de prostitution. Cet auteur ajoute, qu’ils rejetaient la prière. Daneau le dit aussi sur la foi de Clément d’Alexandrie : Deum à nobis precandum et orandum esse negant, quia scit ipse per se quibus egeamus. Clemens hoc de illis tradit lib. 7 Strom.[7]. Cependant saint Épiphane et saint Augustin disent le contraire : Γυμνοὶ γὰρ ὡς ἐκ μητρὸς... συνάγονται, καὶ οὕτως τὰς ἀναγνώσεις καὶ εὐχὰς καὶ πᾶν ὁτιοῦν ἐπιτελοῦσι· Ils s’assemblent tout aussi nus qu’ils étaient au sortir du ventre de leurs mères, et en cet état ils font leurs lectures, leurs Oraisons, et leurs autres exercices de religion. C’est ainsi que parle saint Épiphane, dans le sommaire du IIe livre du tome Ier. ; et voici les termes de saint Augustin : Nudi itaque mares feminæque conveniunt, nudi lectiones audiunt, nudi Orant, nudi celebrant sacramenta[8]. Le moyen d’accorder ces deux derniers pères avec Clément d’Alexandrie serait de supposer que les adamites, auxquels celui-ci donne Prodicus pour fondateur, ne suivaient pas toutes les erreurs de Prodicus. Cette supposition n’a rien d’extraordinaire ; il ne faut quelquefois que trente ou quarante

  1. Ἑνεκα ἀκορέςου ἡδονῆς κόραις ὀϕθαλμῶν ἐμποιούσης τὴν θέλξιν. Id insatiatæ libidini tribuunt quæ ejumodi oculis illecebras objicit. Epiphan. Hæresi LII., pag. 460.
  2. Epiph. Hæresi LII, pag. 459.
  3. Matth. chap. XXI, 13.
  4. Gaulter Tabul. Chronogr., seculo II, cap. XXXIII.
  5. Danæus, in Augustin. de Hæres., cap. XXXI, folio 83.
  6. Gaulter Tabul. Chronogr., seculo II, cap. XXXIII.
  7. Danæus, in August. de Hæres., cap. XXXI, folio 83.
  8. August. de Hæres., cap. XXXI.