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ADAM.

trompait, et à qui Dieu révéla qu’il se trompait. Ainsi cet auteur, en rapportant une fausse plainte d’Élie, ne s’est nullement écarté de l’exactitude la plus historique. Ces messieurs firent souvenir le public, que « entre les propositions extraites des leçons publiques des jésuites de Louvain, reconnues par eux, et censurées par les facultés de Louvain et de Douai, l’an 1588, l’on voit les deux suivantes : 1°. Afin que quelque chose soit Écriture sainte, il n’est pas nécessaire que toutes les paroles soient inspirées du Saint-Esprit. 2°. Il n’est pas nécessaire que toutes les vérités et toutes les sentences soient immédiatement inspirées par le Saint-Esprit à l’auteur sacré. » Mais ces deux propositions-là, quelque qualification qu’elles méritent d’ailleurs, sont bien différentes du dogme du père Adam, et infiniment moins dangereuses [1].

Je me suis étendu sur ceci, parce que j’ai remarqué que c’était un fait qui a été ignoré de ceux qui, à l’occasion des sentimens de quelques théologiens de Hollande, ont tant écrit pendant ces dernières années sur l’inspiration des livres sacrés. Au reste, toutes les communions ont leur père Adam : il se trouve partout des écrivains, à qui d’autres doivent faire la même leçon qui fut faite à ce jésuite. Voici celle que M. Saurin, ministre d’Utrecht, a faite à M. Jurieu, ministre de Rotterdam[2] : « La comparaison qu’a faite M. J., de l’imagination des prophètes, laquelle a reçu des impressions d’en-haut avec une roue qui, étant mise en branle, ne cesse pas d’aller quand la main cesse de la remuer[3], est encore une autre profanation. Car, s’il ne l’a point appliquée aux grands prophètes, cela y va de plein droit : ou bien il devait montrer que leur imagination ébranlée ne roulait pas au-delà de l’impression, par sa propre impétuosité, de même que la roue que l’on a mise en branle, comme il dit que cela arrivait à d’autres inspirés, en qui Dieu produit ces mouvemens extraordinaires pour signe et pour prodige, et qui vont souvent plus loin qu’ils ne devraient. À quelle marque veut-il que l’on reconnaisse ces gens-là que Dieu envoie pour signes, si leur imagination une fois remuée confond ce qui vient de Dieu avec leur folie, et s’ils débitent le vrai et le faux avec l’extérieur de gens hors du sens, et qui sont dans un mouvement déréglé. Ce mélange d’inspiration divine et d’extravagance cachées sous le même extérieur qui ressemble à la manie, blesse l’idée que nous avons de la sagesse de Dieu [4] ». Il y a des gens d’une imagination si ardente, qu’ils ne rapportent jamais, sans l’outrer, ce qu’on leur a dit. Ils se contentent de retenir la chose, et ne se chargent pas des expressions de celui qui leur a parlé : ils en substituent d’autres, qui sont revêtues de tout leur feu, et par conséquent une image peu fidèle de ce qu’on leur avait dit. Ces gens-là croient aisément que les prophètes et les apôtres ont ainsi traité les idées que le Saint-Esprit leur communiquait.

(F) La version qu’il avait faite des hymnes en vers français[5]. ] Ce qu’on trouve là-dessus dans la IXe. partie des difficultés proposées à M. Steyaert, mérite que je le rapporte : « Il y a long-temps qu’un livre de prières n’a été plus estimé que celui qui a pour titre : L’Office de l’Église et de la Vierge, en latin et en français, avec les Hymnes traduites en vers : qu’on appelle autrement Les Heures de Port-Royal. Il s’en fit en un an quatre éditions : ce qui donna tant de jalousie aux jésuites, qu’il n’y a rien qu’ils n’ayent fait pour les décrier. Ils y firent de méchantes objections, qui furent aussitost repoussées. Ils y opposèrent les Heures du père Adam, sous le nom d’Heures catholiques, comme si les autres eussent esté hérétiques. Les hymnes y estoient aussi traduites en vers ; mais si ridiculement, que cela ne fit

  1. Voyez la Réponse de M. Simon aux sentimens de quelques théologiens de Hollande, chap. XII ; et son Histoire critique du Nouveau Testament, chap. XXIII. Voyez aussi la Bibliothéque universelle, tom. X, pag. 132, tom. XI, pag. 80, et tom. XIX, pag. 499.
  2. En 1692.
  3. Voyez la XXe. Lettre pastorale de 1689.
  4. Saurin, Examen de la Doctrine de M. Jurieu, pour servir de réponse à un libellé intitulé Seconde Apologie de M. Jurieu, pag. 21.
  5. Voyez la République de M. Daillé, part. II, pag. 19 ; part. III, pag. 234 et 424.