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ADAM.

mier né uni à la nature humaine, Dieu et homme tout ensemble[1]. » Je voudrais que l’auteur du Nouveau Visionnaire de Rotterdam n’eût pas insulté, comme il a fait d’une manière trop enjouée, les visions de cette fille, et celles du ministre qu’il attaque. On pouvait tourner en ridicule ce dernier sur ses imaginations du mariage d’Adam et d’Ève, sans égayer si fort ce sujet.

Je joins à cela deux petites réflexions seulement. L’une est, qu’Antoinette Bourignon n’a pas dû croire qu’elle ressusciterait ; car, selon ses principes, la matière crasse, qui a été jointe depuis le péché au corps de l’homme, et qui pourit dans le tombeau, ne ressuscitera point[2], et la résurrection n’est autre chose que le rétablissement de l’homme dans son état d’innocence : état où, selon les belles révélations de cette Antoinette, il n’y avait point de femmes. On condamna autrefois[3] à Paris un hérétique nommé Amaulri, qui soutenait entre autres erreurs, qu’à la fin du monde, les deux sexes seront réunis ensemble dans une même personne, et que cette réunion avait commencé en Jésus-Christ ; et que si l’homme était demeuré dans l’état où Dieu l’avait produit, il n’y aurait eu nulle distinction de sexes[4]. Faber d’Étaples a cru que, dans l’état d’innocence, Adam aurait engendré de lui-même son semblable, sans l’aide d’aucune femme [5]. La Bourignon n’a donc pas été la première qui ait enseigné ces choses ; mais elle y a mis beaucoup du sien, comme vous diriez cette perpétuelle propagation, qui se fera, dit-elle, dans le paradis, de la manière que les hommes auraient multiplié sur la terre s’ils avaient conservé leur innocence. Que dirai-je de Paracelse, qui croyait que les parties nécessaires à la génération ne se trouvaient point dans nos premiers pères avant qu’ils péchassent ; mais qu’après qu’ils eurent péché, elles sortirent comme une excroissance ou comme les écrouelles viennent à la gorge ? Negabat primos parentes ante lapsum habuisse partes generationi hominis necessarias, posteà accessisse ut strumam gutturi [6]. Ma seconde réflexion est que cette femme attribue à Jésus-Christ né d’Adam toutes les apparitions de Dieu desquelles le Vieux Testament a parlé, et qu’elle croit que quand il voulut se revestir de la corruption de nostre chair et de nostre sang dans les entrailles de la sainte Vierge, il y renferma son corps, soit en le réduisant à la petitesse qu’il avoit lors de sa première conception ou naissance, soit d’une autre manière inconcevable à nostre raison grossière[7].

Ces deux réflexions, qui suffisaient dans la première édition de cet ouvrage, ne suffisent pas dans la seconde ; car il s’est trouvé des gens si bourrus, qu’ils ont dit que mon article d’Adam contenait des obscénités insupportables. Il faut leur répondre qu’ils font trop les délicats et les scrupuleux, et qu’ils ignorent les droits de l’histoire. Ceux qui font la vie d’un méchant homme, peuvent et doivent représenter en général les dérèglemens de son impudicité ; et, quelque choix qu’ils fassent des termes, ils rapporteront toujours nécessairement des choses impures et qui salissent l’imagination. Cela est inévitable. Tout ce qu’ils peuvent éviter, c’est le détail et les phrases trop grossières. Or, c’est ce que j’ai évité. Ceux qui font l’histoire des sectes dont les dogmes ou les actions ont été impures, se trouvent dans la même nécessité. Les plus grands scrupules de style ne pourront jamais empêcher qu’ils ne présentent des images sales et obscènes à leurs lecteurs. Ce qui me justifie ici en particulier, est que je rapporte des absurdités qui sont contenues dans un livre qui se vend publiquement. Outre cela, j’ai pour moi l’exemple des anciens pères qui ont inséré dans leurs ouvrages les plus affreuses impuretés des hérétiques.

(H) Les narrations romanesques de Jacques Sadeur. ] C’est une prétendue relation de certains peuples herma-

  1. Là même.
  2. Préface du Nouveau ciel.
  3. Au commencement du XIIIe. siècle.
  4. Prateoli Elench. Hæret. voce Almaricus ; et Defensio Relationis de Ant. Burigu. in Act. erudit. Lipsiens. insertæ, pag. 150.
  5. Apud Cornel. à Lapide in Genes., cap. II, v. 24.
  6. Paracelsus, apud Vossium, de Philosophiâ, cap. IX, pag. 71.
  7. Vie continuée de Mlle. Bourignon, pag. 317.