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ACHMET.

que la disette. ] Si l’on rencontre dans cet ouvrage le récit de plusieurs prodiges et de plusieurs traditions miraculeuses, ce ne sera pas un signe que je veuille les faire passer pour véritables ; je ne crains point les délateurs de ce côté-là : si c’était mon intention, je n’en rapporterais que très-peu. Je sais bien qu’en ces sortes de matières, la crédulité est la source de la multiplication, et qu’il n’y a point de meilleure pépinière que celle-là[1] ; mais enfin, on en abuse avec tant d’excès, qu’on guérit tous ceux qui ne sont pas incurables. La crédulité est une mère que sa propre fécondité étouffe tôt ou tard dans les esprits qui se servent de leur raison. Il aurait été de l’intérêt des païens qui ont voulu déifier leurs héros, de ne leur attribuer que peu de miracles : la maxime πλέον ἥμισυ παντὸς, dimidium plus toto, et cette autre, ne quid nimis, étaient ici de saison. Ceux qui ont tant multiplié les saints suaires, les images de la sainte Vierge faites par saint Luc, les cheveux de la même sainte, les chefs de saint Jean-Baptiste, les morceaux de la vraie croix, et cent autres choses de cette nature, devaient aussi songer à ces deux maximes ; car, à force de redoubler la dose, ils ont énervé leur venin, et ont fourni tout à la fois le poison et l’antidote : ipsa sibi obstat magnitudo[2]. Achille, dans l’île de Leuce, a eu la même destinée qu’en allant à Troie : les mêmes miracles qui ont pu tromper les lecteurs, les ont pu détromper ; comme la même lance dont il avait blessé Télèphe, lui fournit l’emplâtre qui guérit parfaitement la blessure.

Vulnus in herculeo quæ quondam fecerat hoste,
Vulneris auxilium Pelias hasta tulit[3].
Nysus et Æmoniâ juvenis quâ cuspide vulnus
Senserat, hac ipsâ cuspide sensit opem[4].


Mais je ne songe pas que le nombre de ceux qui se désabusent par la multiplication des prodiges est si petit, en comparaison de ceux qui ne se désabusent pas, que ce n’est pas la peine de changer son train et de prendre pour son étoile polaire, en faisant voguer la flotte de ses marchandises [5], les deux maximes que j’ai rapportées. Nous verrons dans la remarque (Q) de l’article de Pyrrhus, roi d’Épire, une fausseté de Camerarius touchant un prétendu miracle de notre Achille.

  1. Prodigia eo anno multa nunciata sunt, quæ quo magis credebant simplices ac religiosi homines, eo etiam plura nunciabantur. T. Livius, lib. XXXIV, cap. 45.
  2. Florus, in Proœm.
  3. Ovid. Remed. Amor., vs. 47.
  4. Propert. lib. II, Eleg. I, vs. 64.
  5. Quartier pour la dureté, ou, si l’on veut, le galimathias de cette figure.

ACHMET, fils de Seirim. On a un livre de sa façon qui contient l’interprétation des songes, selon la doctrine des Indiens, des Perses et des Égyptiens. Il fut traduit du grec en latin, environ l’an 1160, par Léon Tuscus[a], qui le dédia à Hugues Échérien (A). On le publia en latin, l’an 1577[b], sur un manuscrit fort mutilé qu’on trouva dans la bibliothéque de Sambucus[c] ; mais on le donna comme un ouvrage d’Apomasares[d]. Le docte Leunclavius fit savoir lui-même cette méprise au public dans ses Annales des Turcs[e]. M. Rigault est le premier qui a publié cet ouvrage en grec. Il le joignit, à cause de la conformité des matières, avec l’Artémidore qu’il fit imprimer à Paris en l’année 1603. Il ne changea rien à la traduction latine de Leunclavius, et ne fit point de notes sur le texte[f]. Il croit qu’Achmet, fils de Seirim, n’est point différent de celui dont Gesner a fait mention. Celui de Gesner était fils d’Habramius et médecin, et a composé un ouvrage divisé en sept livres, et intitulé Peregrinan-

  1. Rigaltii Præf. libri Achmetis.
  2. Leunclavius, à Francfort, in-8.
  3. Barthius, Advers. lib. XXXI, cap. XIV.
  4. Id est Abumasher seu Albumasar. Vide Catal. Oxouiens. pag. 35.
  5. Rigaltii Præf. in Achmet.
  6. On le dit pourtant dans le Catalogue d’Oxford, pag. 5,