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ACHILLE.

fait chanter, sous la discipline de Chiron, diverses matières qui avaient infiniment moins de rapport à la guerre qu’à l’amour ; Hyacinthe, Narcisse, Adonis, Hilas, etc.[1].

Achevons cette remarque par quelque chose qui concerne la lyre même d’Achille. Quelques-uns disent que Corybas, fils de Jasus et de Cybèle, étant passé en Phrygie avec son oncle Dardanus, y établit le service de Cybèle, donna son nom aux Corybantes, qui étaient les prêtres de cette déesse, et y transporta la lyre de Mercure [2]. Elle fut gardée à Lyrnesse, d’où Achille l’emporta lorsqu’il se saisit de cette ville. Homère n’est pas de ce sentiment, puisqu’il dit que la lyre de ce héros avait été trouvée dans la ville d’Éetion, c’est-à-dire dans Thèbes de Phrygie lorsque les Grecs la pillèrent[3].

(N) Le plus bel homme de son temps. ] Au lieu de ce fait, dont on a des preuves si authentiques, M. Moréri s’est contenté d’observer que Philostrate dit qu’Achille était de belle taille. Achille se vante lui-même, dans le XXIe. livre de l’Iliade, d’être grand et beau, καλός τε μέγας τε : et lors qu’Homère a voulu parler de Nirée, il a remarqué qu’après Achille c’était le plus beau de tous les Grecs :

Νιρεὺς, ὃς κάλλιςος ἀνὴρ ὑπὸ Ἴλιον ἦλθε
Τῶν ἄλλων Δαναῶν, μετ᾽ ἀμύμονα Πηλείωνα.[4].

Nireus, qui formosissimus vir ad Ilium venit
Cœteturum Danaorum, post laudatissimum Pelidem.


Voyez le scoliaste d’Homère sur le vers 131 du Ier. livre de l’Iliade, où il dit qu’Achille, le plus beau de tous les héros, avait tellement le visage d’une femme, qu’il lui fut aisé de passer pour fille à la cour de Lycomède[5].

....Plurimus illi
Invictâ virtute decor fallitque tuentes
Ambiguus, tenuiique latens discrimine sexus[6].

(C’est Stace qui parle. )


Pour ce qui est de la taille, je ne remarquerai point ce que Philostrate dit dans la vie d’Apollonius, que l’ombre d’Achille, évoquée par ce philosophe, parut d’abord de cinq coudées et puis de douze, et d’une beauté qu’il n’était pas possible d’exprimer[7]. Je ne dirai point non plus, avec Lycophron, qu’Achille avait neuf coudées ; ce n’est point ce qu’on nomme belle taille, cela n’est bon que pour Quintus Calaber qui l’a converti en géant [8], et ce ne serait pas le moyen de justifier le sieur Moréri. Disons donc qu’il est fort vrai que l’auteur qu’il cite[9] donne une belle et haute taille à ce héros, et un visage d’où il sortait des rayons ; un nez ni aquilin ni crochu ; mais tel qu’il devrait toujours demeurer. C’est ainsi que Vigénère a traduit, sur la version latine apparemment. J’aimerais mieux traduire tel qu’il devait être, et donner au verbe μέλλω cette signification.

(O) Il ne les aimait pas moins de son côté. ] La lubricité d’Achille fut un fruit précoce et de durée. Nous avons vu que dès l’âge de dix ans il engrossa Déidamie. Les suites furent dignes d’un si prompt début. Il ne tarda pas long-temps à traiter de la même sorte Iphigénie[10], et si Diane crut qu’on lui avait offert une vierge pour victime en la personne de cette fille d’Agamemnon, elle fut prise pour dupe : Achille avait mis bon ordre qu’au pis aller Iphigénie ne sortît point de ce monde avant que d’avoir goûté les joies de la conception et les douleurs de l’enfantement. Il vit Hélène sur les murailles de Troie, et en devint si furieusement amoureux qu’il en perdit le repos, et qu’il recourut à sa mère pour la prier de trouver quelque moyen de le faire jouir de cette femme[11] ; bel em-

  1. Philostrate in Heroïc., pag. 705, les nomme τοὺς ἀρχαίους ἥλικας, ce que Vigénère traduit, les anciens qui estoient au mesme aage qu’Achille. Cela est très-équivoque : il eût mieux valu se servir du mot de siècle que de celui d’âge ; et sans doute Philostrate a voulu dire, non qu’ils étaient contemporains avec Achille, mais qu’il l’étaient entre eux.
  2. Diodor. Sicul., lib. VI.
  3. Homer. Iliad. lib. IX, vs. 188.
  4. Ibid. lib. II, vs. 673.
  5. Voyez le Banquet de Platon.
  6. Statius, Achill., lib. I, vs. 335. Dictys Cretensis, lib. I.
  7. Philostrate, de la Vie d’Apollonius, liv. IV, chap. V. Vigénère cite le livre III, et dit que l’ombre apparut premièrement de la hauteur de sept coudées.
  8. Q. Calaber, lib. I, vs. 514 ; lib. III, vs. 716, 722.
  9. Philostrate in Heroïc., pag. 705,
  10. Vide Tzetzem in Lycophron.
  11. Tzetzes in Lycophron.