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ACCURSE.

d’Azo à l’âge de trente-sept ans[1]. Voyez ci-dessous la remarque (F).

(B) Son autorité etait autrefois si grande. ] Je ne saurais rien alléguer ici de plus à propos ni de plus divertissant qu’un passage cité par un des jurisconsultes modernes qui ont le moins estimé les glossateurs : Nostis quanta sit auctoritas glossatoris. Nonne heri dixit Cyn. glossam timendam propter præscriptam idololatriam per advocatos, significans quòd sicut antiqui adorabant idola pro diis, ita advocati adorant glossatores pro evangelistis. Volo enim potiùs pro me glossatorem quàm textum ; nam si allego textum, dicunt advocati diversæ partis et etiam judices, credis tu quòd glossa non ita viderit illum textum sicut tu, et non ita benè intellexerit sicut tu ? Ego recordor (et sit illud pro novo) quod, dùm essem scholaris, eram satis acutus, et dùm semel essemus multi socii in unâ collatione, ausus fui unum textum allegare contra sententiam doctoris mei : tantam audaciam habui. Dixit unus socius : Tu loqueris contra glossam quæ dicit sic, Et ego respondi : Etsi glossa dicit sic ego dico sic, ignarus auctoritatis glossatorum. Credebam enim quòd essent communes apostillæ, quales sunt in libris grammaticæ, sicut super Virgilio et Ovidio : sed tamen non ita est ; fuerunt enim glossatores maximæ scientiæ viri et auctoritatis. Etsi aliud non esset quàm glossarum ordinatio, et de quibus potest dici id quod arbitror de nullo dici passe, videlicet quòd totum corpus juris viderunt. Magis ergo standum est eis qui viderunt, quàm nobis qui non vidimus[2]. Hotman cite quelques autres passages du même auteur, qui confirment la même chose, et qui nous apprennent que, devant, les juges, la glose, mise en balance contre le sentiment de deux interprètes, l’emportait toujours. Si sententia glossatoris duobus doctoribus est contraria, profectò in judiciis prævaleret sententia ipsius glossæ[3].

(C) Crié contre la barbarie de cet auteur. ] Louis Vivès est un de ceux-là. [4]. Voyez aussi Bernartius dans son Traité du profit qu’apporte la lecture de l’histoire. Il s’est trouvé parmi les jurisconsultes du seizième siècle bien des auteurs qui ont censuré cette barbarie. Il semble que l’Alciat les ait mis en branle, et qu’il ait commencé de donner du goût pour l’union des belles-lettres et du droit civil. Budée[* 1], l’un des plus ardens censeurs d’Accurse, a contribué aussi à cela[5]. On ne peut nier que l’ignorance des belles-lettres n’ait fait tomber les glossateurs dans plusieurs bévues. Albéric Gentil s’est fort déclaré leur partisan : il n’a pas voulu avouer qu’Accurse ait mis en usage la maxime. græcum est, non potest legi[6], qui lui a été reprochée[7]. Il croit que ces paroles ne se trouvent nulle part dans ce glossateur, et il le fait plus habile dans la langue grecque qu’on ne le pense ordinairement. Quoi qu’il en soit, le proverbe græcum est, non potest legi, passe pour avoir tiré son origine de la coutume des glossateurs. On prétend que, lorsqu’ils tombaient sur un mot grec, ils cessaient d’interpréter, et en donnaient pour raison que c’était du grec qui ne pouvait être lu ; et après avoir ainsi sauté cette fosse, ils reprenaient l’explication du latin.

(D) Que c’était un grand génie, et que ses défauts viennent du siècle où il a vécu. ] Je ne citerai que deux auteurs. Hanc significationem in animo habuit F. Accursius, glossatorum veterum coryphæus, homo ingenii prorsùs stupendi, qui in tantis disciplinarum tenebris ipsam disciplinarum disciplinam accuratissimè intellexit, cùm non jurisdictionem, sed jurisditionem scribendum censuit[8]. Voilà ce que dit un Allemand : voyons ce qu’a dit

  1. * Joly dit qu’il faut écrire et prononcer Budé. C’est ce qu’a fait Bayle, à l’article de ce personnage Ce n’est donc qu’une faute d’impression que relève Joly.
  1. Forst. Histor. Juris civil. lib. III, cap. XII.
  2. Raphael Fulgosius in L. Si in Solutum, C. de Action. et Oblig. apud Fr. Hottomanum, Præf. Consiliorum.
  3. Idem. ibid. apud. eundem.
  4. Ludov. Vives, de Causis corrupt. Artium, lib. I, p. 52. et lib. VII, pag. 206. Vide etiam Brassicanum inter Epistol. Eobani Hessi.
  5. Voyez Pasquier, Recherche de la France, liv. IX, chap. XXXIX, pag. 901, qui donne le premier rang à Budée, et le second à Alciat.
  6. Alb. Gentilis, de Juris Interpret. fol. 29
  7. Vide Sich. in Prœfat ad Codicem Theodosianum ; et Alciatum, cap. XVI, lib. II, Dispunct.
  8. Barthii Animad. ad Claudian. in Rufin, lib. II, vs. 85, pag. 1200, 1201.