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ACCIUS

l’amitié qui était entre Sisenna et celui que Cicéron maltraite ; lors, dis-je, qu’il en conclut que Cicéron n’a point parlé d’Accius, il se trompe : car, ne lui en déplaise, Accius et Sisenna ont eu à peu près le même âge. Sisenna était vieux après la guerre civile de Marius et de Sylla[1], c’est-à-dire, vers l’an 672 de Rome, et Accius n’était point mort en 665.

(O) Passer pour parent de notre poëte. ] Saint Jérôme remarque, en parlant du poëte Accius, qu’il fut mené à Pisaure lorsque les Romains y envoyèrent une colonie ; et qu’il y avait auprès de la ville une terre nommée fundus Accianus[2]. C’était la portion qui lui échut dans le partage que l’on fit des terres aux habitans de cette nouvelle colonie. Sur cela Scaliger observe que la colonie de Pisaure ne fut établie que quatre ans après celle de Boulogue, c’est-à-dire, l’an de Rome 568, quinze ans avant la naissance d’Accius[3]. Disons donc que saint Jérôme s’est trompé : Rome était un séjour plus propre qu’une colonie à un poëte qui était la gloire du théâtre en ce temps-là : mais ne croyons pas que ce mensonge soit sans aucun fondement. Le père d’Accius suivit peut-être ceux qui conduisirent la colonie de Pisaure ; et peut-être que le patron auquel il devait sa liberté fut un des principaux commissaires de ce nouvel établissement. En cas qu’il eût suivi son patron, il aurait pu être partagé de la terre que l’on appela dans la suite fundus Accianus, et il aurait pu laisser entre autres enfans le père de l’orateur Accius. Voici comment Cicéron a parlé de cet orateur. T. Accium Pisaurensem, cujus accusationi respondit pro A. Cluentio, qui et accuratè dicebat, et satis copiosè, eratque prætereà doctus Hermangoræ præceptis, quibus etsi ornamenta non satis opima dicendi, tamen ut hastæ velitibus amentatæ, sic apta quædam et parata singulis causarum generibus argumenta traduntur[4]. Scaliger ne censure pas saint Jérôme d’avoir mis pêle-mêle la grande réputation et la mort de Pacuvius sous la 3e. année de la 156e. olympiade[5], et la grande réputation d’Accius sous la 2e. année de la 160e olympiade. Il ne peut sortir de là que des confusions pour ceux qui savent que Pacuvius avait cinquante ans plus qu’Accius. Car, si l’on supposait que Pacuvius mourut âgé d’environ quatre-vingt-dix ans, en l’année sous laquelle saint Jérôme parle de sa mort, il faudrait dire qu’Accius était âgé d’environ quarante ans la 3e. année de la 156e. olympiade ; et cependant il naquit, selon saint Jérôme, sous le consulat de Mancinus et de Serranus, qui tombe sur la 2e. année de la 152e. olympiade. Il faut donc, comme je l’ai dit dans la seconde remarque, se défier ici un peu de ce chronologue.

(P) Le latin de cet Accius. ] Perse et Martial se sont bien moqués de ces gens là :

Est nunc Brisæi[6] quem venosus liber Acci,
Sunt quos Pacuviusque et verrucosa moretur
Antiopa, ærumnis cor luctificabile fulta[7].


Voici ce qu’en dit Martial, dans l’épigramme XCI du IIe. livre.

Attonitusque legis terraï frugiferaï,
Accius et quidquid Pacuviusque vomunt.


Si l’on avait imité ces vieux auteurs, comme nos plus beaux esprits imitent aujourd’hui Marot et les autres poëtes du XVIe, siècle, dans des contes, dans des ballades, dans des odes pindariques, dans des rondeaux, etc., faits exprès en vieux langage, je ne vois pas que personne eût pu raisonnablement y trouver à mordre ; mais apparemment, c’était tout de bon, qu’on employait ce style moisi et suranné : on le prenait pour la parfaite éloquence, soit qu’on le débitât tout pur, soit qu’on le mêlât avec celui de son siècle. Voyez les bons conseils que Phavorin donne à un jeune homme

  1. Vell, Patercul., lib. II, cap. IX.
  2. In Chron. Euseb. num. 1876.
  3. Scalig. Anim. in Euseb. ibid. ex Paterculo, lib. I, cap. XV.
  4. Cicero, in Bruto, cap. 78. Voyez aussi l’Oraison pro Cluentio.
  5. Pacuvius Brundusinus tragaediarum scriptor clarus habetur, vixitque Romæ quoad picturam exercuit et fabulas vendidit. Deindè Tarentum transgressus, propè nonagenarius diem obiit. Chron. Euseb. num. 1863.
  6. Casaubon, sur cet endroit de Perse, conjecture qu’il faut lire Briséis, et que c’était le titre d’une tragédie d’Accius. Scriverius, in Testim. de Attio, a tort de croire que Perse ne parle pas du poëte tragique.
  7. Pers. Sat. I. vs. 76.