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ACCIUS.

responses imprévues de sa partie adverse le rejettent de son branle, où il luy faut sur-le-champ prendre nouveau party... La part de l’advocat, ajoute-t-il[1], est plus difficile que celle du prescheur : et nous trouvons, ce me semble, plus de passables advocats que de prescheurs, au moins en France. »

(M) Que l’on châtia un comédien. ] Se voyant traduit devant les juges, en réparation d’injures, il dit pour sa défense qu’il était permis de nommer un homme qui donnait ses pièces de théâtre à représenter. Publius Mutius, devant qui la cause fut débattue, le condamna. Le poëte satirique Lucilius n’eut pas le même succès ; car on renvoya absous le comédien qui l’avait nommément offensé sur le théâtre : tant il est vrai que les juges ne sont pas tous de la même humeur, ou qu’il y a des gens que l’on considère plus que d’autres. Celui qui nous apprend ces deux procès s’exprime ainsi : Mimus quidam nominatìm Accium poëtam compellavit in scenâ : cum eo Accius injuriarum agit : hic nihil defendit, nisi liceri nominari eum, cujus nomine scripta dentur agenda....[2]. Caius Cœlius judex absolvit eum injuriarum, qui Lucilium poëtam in scenâ nominatum lœserat : Publius Mutius eum, qui L. Accium poëtam nominaverat, condemnavit[3]. Glandorp n’a point su où l’on trouvait cette histoire : il ne la rapporte[4] que sur la foi d’un auteur moderne dont il copie la fausse glose, savoir, que le défendeur fut condamné, parce qu’il avait prononcé tout simplement le nom d’Accius, sans titre d’honneur, ni complimens, sine præfatione honoris nominaverat[5].

(N) D’autres ne le croient point. ] Si j’avais à prendre parti, je me rangerais au leur ; car, outre que Cicéron, qui a tant de fois cité notre Accius, ou avec éloge, ou sans le blâmer, aurait mauvaise grâce de lui venir dire des injures dans le Ier. livre des Lois, je remarque que ces injures sont tout à fait opposées au caractère de celui qui fait le sujet de cet article. L’élévation, la grandeur, la force, étaient le caractère d’Accius, et nous avons ouï [6] le témoignage que Horace et Quintilien lui ont rendu là-dessus. Joignons-y deux vers d’Ovide, et un arrêt décisif de Paterculus.

Ennius arte carens, animosique Accius oris,
Casurum nullo tempore nomen habent[7].


Clara etiam per idem œvi spatium fuêre ingenia, in togatis Afranii, m tragœdiis Pacuvii atque Attii usque in Græcorum comparationem evecti, magnumque inter hos ipsos facientis operi suo locum ; adeò quidem ut in illis limæ, in hoc penè plus videatur fuisse sanguinis[8]. Si le nouveau témoin que je vais produire était de la force des précédens, ce qui suit enchérirait de beaucoup sur tout ce que j’ai déjà rapporté ; car voici Accius sur la tête du grand Euripide : Accius poëta junior suo ingenio præcelluit Euripidem, qui fuit altus et ingenio sublimis[9]. Un autre nous donne Accius et Virgile pour les deux plus excellens poëtes de Rome : An Latiæ musæ non solos adytis suis Accium et Virgilium recepêre, sed eorum et proximis, et procul à secundis, sacras concessêre sedes[10] ? Quelle apparence qu’un tel homme ait fait une histoire digne de cette censure de Cicéron ? Nam quid Accium memorem, cujus loquacitas habet aliquid argutiarum, nec id tamen ex illâ eruditâ Græcorum copiâ, sed ex librariolis latinis ? In orationibus autem multus et ineptus, ad summam impudentiam [11]. Remarquez bien que les Annales du poëte tragique Accius étaient en vers, et que Cicéron ne parle là que de ceux qui avaient écrit l’histoire en prose latine ; car il ne dit rien d’Ennius. Nos meilleurs critiques pensent que ce passage de Cicéron est corrompu et qu’il faut lire, non pas Accium, mais Macrum. Ainsi la censure tombera sur l’historien Licinius Macer. Vossius embrasse ce sentiment [12]. Mais, lorsqu’il apporte en preuve

  1. La même, pag. 54.
  2. Auctor Rhetoric. ad Herenn. lib. I.
  3. Ibid., lib. II.
  4. Glandorp. Onomast. pag. 3.
  5. Catanæus, dont Glandorp ne cite pas l’endroit ; mais on le trouve dans le Commentaire in Plin. Epist. III, lib. V, pag. 291.
  6. Dans la remarque (K).
  7. Ovidius, Amor. lib. II, eleg. XV, vs. 19.
  8. Patercul. lib. II, cap. IX.
  9. Acron in Horat. Epist. I, lib. II.
  10. Columella, de Re rust., lib. I, præf.
  11. Cicero, de Legibus, lib. I, initio.
  12. Voss. de Hist. lat. lib. I, cap. X.