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ABRAHAM.

me on le peut voir dans l’Alcoran et dans un des principaux auteurs nommé Kessæus. Ils lui font faire le voyage de la Mecque, et ils prétendent qu’il commença à bâtir le temple (F). Voyez la Bibliothéque Orientale de M. d’Herbelot, depuis la page 12 jusqu’à la page 16 : on y trouve mille curiosités. Si nous avions le livre qu’Hécatée avait composé sur Abraham[a], nous y verrons peut-être bien des choses dont on n’a pas ouï parler. Les chrétiens n’ont pas voulu être les seuls qui ne débitassent point de sornettes touchant Abraham : ils lui ont fait planter des arbres d’une vertu bien singulière (G).

Voici encore quelques rêveries des rabbins. Ils disent que la servitude d’Égypte fut la punition de quelques fautes qu’Abraham avait commises, car il avait contraint les disciples de la sagesse à prendre les armes, et permis que des personnes instruites en la loi de Dieu se replongeassent dans l’idolâtrie. C’est ainsi qu’ils entendent les paroles de l’Écriture où il est dit qu’il arma 318 de ses serviteurs nés dans sa maison [b], et qu’il rendit[c] les personnes que le roi de Sodome lui redemandait [d]. Le père Bartolocci s’échauffe beaucoup sur cette matière, et n’emploie pas une bonne réfutation (H). Ils disent aussi, 1°. que la vue d’une pierre précieuse qui pendait du cou d’Abraham guérissait toutes les maladies, et que Dieu pendit cette pierre au soleil après la mort d’Abraham[e] ; 2°. que ce patriarche enseigna la magie aux enfans qu’il avait eus de ses concubines [f].

  1. Joseph. Antiquit. libr. I, cap. VII.
  2. Genèse, chap. XIV, v. 14.
  3. La même. v. 21.
  4. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 529.
  5. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag 562.
  6. Idem, ibidem, pag. 594, et tom. I, pag. 703.

(A) Touchant les motifs de sa conversion. ] C’est une opinion assez commune qu’Abraham suça avec le lait le poison de l’idolâtrie, et que Tharé, son père, faisait des statues, et enseignait qu’il les fallait adorer comme des dieux[1]. Quelques Juifs ont débité qu’Abraham exerça assez longtemps le métier de Tharé[2], c’est-à-dire, qu’il fit des idoles, et qu’il en vendit. D’autres disent que l’impiété qui régnait en ce pays-là étant l’adoration du soleil et des étoiles, Abraham croupit long-temps dans ce malheureux bourbier. Ipsum longo tempore Chaldæorum delirio de astrorum divinitate innutritum fuisse[3]. Maimonides donne pour un fait certain qu’Abraham fut élevé dans la religion des Zabiens, qui ne reconnaissaient d’autre dieu que les étoiles[4]. Il s’en tira par les réflexions qu’il fit sur la nature des astres. Il en admirait les mouvemens, la beauté, l’ordre ; mais il y remarquait aussi des imperfections : et il conclut de tout cela qu’il y avait un être supérieur à toute la machine du monde, un auteur et un directeur de l’univers. Suidas cite bien Philon pour prouver qu’Abraham s’éleva jusqu’à la connaissance de Dieu par ces sortes de réflexions ; mais, comme il rapporte, sur la foi du même auteur, qu’Abrabam, dès l’âge de quatorze ans, avait atteint ce haut degré de lumière, et avait eu le courage de dire à Tharé, renoncez à ce pernicieux trafic d’idoles avec quoi vous trompez le monde, nous n’avons pas ici un délateur uniforme de la longue idolâtrie d’Abraham. Il est certain que Josephe, sans avouer que

  1. Suïdas, in Σαρούχ.
  2. Apud Genebrard. in Chron.
  3. Philo, apud. Saliano, tom. I, pag. 387.
  4. Maimonides, Morch Nevoch., cap. XXIX, pag. 3.