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ABRABANEL.

veut que la famille d’Abrabanel ait eu son établissement à Séville pendant plusieurs siècles[1]. Il l’avait appris de Bartolocci, et il cite[1] le rabbin Salomon ben Virga, qui a dit à peu près la même chose dans son histoire des Juifs[2], traduite en latin par Gentius, et citée ci-dessous.

(B) Qui se disait descendue du roi David. ] Abrabanel a dit quelque part[3] qu’au temps de la destruction du premier temple, il passa deux familles de la race de David en Espagne, dont l’une s’établit à Lucène et l’autre à Séville, où elle laissa postérité. Il fait en un autre lieu[3] l’histoire de cette transmigration. Le rabbin Salomon ben Virga introduit un certain Thomas qui fait une longue déduction de la même histoire à Alphonse, roi d’Espagne, et lui débite que la famille des Abrabanel descendait des rois de Juda ; mais Alphonse n’en veut rien croire, et forme des difficultés insurmontables contre ces généalogies[4]. Les Juifs, pour se tirer d’embarras, supposent qu’Abrabanel perdit ses livres généalogiques dans le tumulte de ses déménagemens[5]. M. Huet rapporte [6] que Manassé ben Israël assure dans son Conciliator que ces deux familles issues de David se retirèrent en Espagne après la ruine du second temple. Ce rabbin avait un intérêt tout particulier à ce conte ridicule ; car sa femme était de la famille des Abrabanel[7]. Au reste, il n’est pas aisé de savoir qui est cet Alphonse qui s’entretient si longtemps avec ce Thomas dans le livre de Salomon ben Virga. Quelques-uns l’appellent roi de Portugal[8] ; et comme ils veulent que l’Abrabanel dont Thomas lui parle soit notre rabbin, on ne doit pas douter qu’ils ne le prennent pour le roi Alphonse V. Don Nicolas Antonio croit qu’il s’agit là d’un tout autre Abrabanel, et que cet Alphonse est le dernier roi de Castille qui ait porté ce nom-là[9]. Il pourrait avoir raison jusqu’ici, mais il a tort quand il met près de deux siècles entre ce roi et notre rabbin ; car ce dernier vint au monde l’an 1437, et ce roi mourut l’an 1350, à l’âge de trente-huit ans.

(C) Âgé de quarante-cinq ans. ] Nicolas Antonio a inséré à la fin de sa Bibliothéque d’Espagne ce que le P. Bartolocci lui avait dit touchant Isaac Abrabanel. Il a corrigé par-là quelques fautes qui étaient déjà imprimées dans l’article de ce rabbin ; mais il me semble qu’il n’a point parlé exactement lorsqu’il a dit : Juvenis adhuc, sed benè doctus, in Castellæ regnum transiit, cùm Joanni II, Portugalliæ regi, parùm esset gratus[10]. Il s’agit là d’un âge qui, pour l’ordinaire, n’ait pas pu donner le temps d’acquérir de l’érudition. C’est ce qu’on ne saurait dire de l’âge de quarante-cinq ans. Il est donc certain que l’auteur de la Biblothéque espagnole a cru que le rabbin était fort au-dessous de cet âge quand il s’enfuit en Castille : il s’est donc trompé.

(D) Quelques auteurs chrétiens, etc. ] Ils disent qu’Abrabanel méritait bien le traitement qu’il souffrit, et qu’il aurait été puni encore plus sévèrement lorsque sa malice eut été connue, si le naturel débonnaire du roi Jean ne l’eût porté à se contenter de le bannir. Ils ajoutent que les remords de la conscience firent prendre à ce rabbin la résolution de quitter le Portugal, et de se sauver de nuit en Castille, avec une promptitude extraordinaire[11].

(E) Ils font le même jugement de ses autres persécutions. ] Ils disent qu’il se fourra à la cour de Ferdinand et d’Isabelle par le moyen de la banque qu’il faisait dans le royaume de Castille ; qu’il amassa de grands trésors en se servant adroitement de tous les artifices de sa nation ; qu’il tyrannisait les pauvres ; que ses usures rongeaient tout ; qu’il eut la vanité d’aspirer aux titres les plus illus-

  1. a et b N. Ant. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627, et tom. II, pag. 686.
  2. Ou Scheveth Jehuda.
  3. a et b Comment. in Zachar., cap. XI, fol. 293, et in II Reg., cap. XXV, fol. 305 ; apud Acta Lips. Nov. 1686, pag. 528.
  4. Le Scheveth Jehuda, f. 11 et seq. apud Acta Lips. Nov. 1686, pag. 528.
  5. Acta Lips. Nov 1686, pag. 529.
  6. Huetii Demonstr. Evangel. pag. 708. edit. Lips. An 1694, in-4.
  7. Idem, ibidem.
  8. Acta Lips. 1686, pag. 529.
  9. Nico Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627
  10. Idem, tom. II, pag. 686.
  11. Ex Actis Lipsiens. Nov. 1686, pag. 529. Voyez aussi le P. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 874.