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ABELLY.

mit plus d’en exercer les fonctions, et se retira dans la maison de Saint-Lazare. Il révéla dans la Vie de M. Vincent un secret qui plut à beaucoup de monde (C).

(A) L’épithète de moelleux. ] Ne faisons pas difficulté de remonter un peu haut, en rapportant ce passage ; car, outre qu’il ne faut pas craindre que la longueur de la citation déplaise à personne, elle servira à confirmer ce que je dois dire dans la remarque suivante.

Alain tousse et se lève, Alain[1], ce savant homme,
Qui de Bauni vingt fois a lu toute la Somme,
Qui possède Abelly, qui sait tout Raconis,
Et même entend, dit-on, le latin d’A Kempis.
N’en doutez point, leur dit ce savant canoniste,
Ce coup part, j’en suis sûr, d’une main janséniste.
Mes yeux en sont témoins : j’ai vu moi-même hier
Entrer chez le prélat le chapelain Garnier.
Arnaud, cet hérétique ardent à nous détruire,
Par ce ministre adroit tente de le séduire.
Sans doute il aura lu dans son saint Augustin
Qu’autrefois saint Louis érigea ce lutrin.
Il va nous inonder des torrens de sa plume :
Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d’un volume.
Consultons sur ce point quelque auteur signalé ;
Voyons si des lutrins Bauni n’a point parlé.
Étudions enfin, il en est temps encore ;
Et pour ce grand projet, tantôt, dès que l’aurore
Rallumera le jour dans l’onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moelleux Abelly[2].


Quand ces vers ne contiendraient autre chose que l’accolade de Bauni et d’Abelly, ils signifieraient assez l’anti-jansénisme de ce dernier ; mais ils contiennent plusieurs autres traits qui vont au même but, et qui portent coup. L’auteur a mis en marge une note qui explique la raison de l’épithète, et il a bien fait. Quand je songe aux conjectures que formeraient les critiques si la langue française avait un jour le destin qu’a eu la langue latine, et que les œuvres de M. Despréaux se conservassent, je me représente bien des chimères. Car, supposons que la Medulla theologica de M. Abelly fût entièrement perdue, et que presque aucun auteur qui en eût parlé ne subsistât, et qu’il n’y eût point de note à la marge du Lutrin vis-à-vis de moelleux, quels mouvemens les critiques ne se donneraient-ils point pour trouver la raison de cette épithète ! et combien de faussetés ne diraient-ils pas[3] ! Je m’imagine que quelqu’un, mal satisfait des conjectures de tous ses prédécesseurs, dirait enfin que l’écrivain Abelly avait été caractérisé par cette épithète à cause qu’on avait voulu faire allusion aux offrandes d’Abel, qui ne furent point sèches comme celles de Caïn, mais un véritable sacrifice de bêtes. Il citerait sur cela le sacrum pingue dabo, nec macrum sacrificabo : il dirait que les parties des victimes n’étaient pas toutes également considérables, et que la graisse, sous laquelle il faut aussi comprendre la moelle, était d’un usage singulier. Plus il serait docte, plus le verrait-on courir d’extravagance en extravagance, et accumuler des chimères. En cet endroit, comme en plusieurs autres, verrait-on vérifiée l’espérance dont il est parlé dans la IXe. satire de M. Boileau :

Et déjà vous croyez, dans vos rimes obscures,
Aux Saumaises futurs préparer des tortures.


Quelqu’un a dit qu’il serait à souhaiter qu’on fît déjà un bon commentaire sur les satires de cet auteur[4][* 1]. Il est certain que cette sorte d’écrits deviennent bientôt obscurs, quant à un grand nombre de choses. Le Catholicon d’Espagne, et la Confession catholique de Sancy, en sont une preuve. Le public est fort redevable à l’auteur, qui publia des remarques sur la dernière de ces deux satires l’an 1693, et sur la première l’an 1696. Il est curieux et pénétrant, et fort propre pour ce travail.

(B) Des maximes des jansénistes. ] Un de ces messieurs s’est plaint fort

  1. * [Ce dessein a été exécuté depuis la mort de M. Bayle par M. Brossète. Il publia en 1715 à Genève les Œuvres de Despréaux avec des éclaircissemens historiques donnés par l’auteur même, 2 vol. in-4. On les a réimprimées à Amsterdam en 1718, in-fol. et in-4 ; en 1722 à la Haye, en 4 vol. in-12. Addit. de l’édit. d’Amst.]
  1. On désigne l’abbé Auberi, chanoine de la Sainte-Chapelle, fameux moliniste, frère de ce M. Auberi qui a fait l’histoire du cardinal Mazarin. Suite du Ménagiana, pag. 8, édit. de Hollande.
  2. Œuvres de Despréaux, Lutrin, chant IV, 169, etc.
  3. Conférez ce que dit le P. Bouhours dans ce le IVe. dialogue de la Manière de bien penser, pag. 399, au sujet de ces paroles de M. Despréaux, profès dans l’ordre des Coteaux.
  4. Nouvelles de la Rép. des lettres, oct. 1684, art. V.