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ABÉLARD.

autres écrivains, bien informés, assurent la même chose. L’Histoire d’Abélard et d’Héloïse a été insérée dans ce roman.

(K) Sur les terres du comte de Champagne. ] On découvre cela en conférant deux passages. Voici le premier : Ad cellam quandam recessi, scholis more solito vacaturus[1]. Voici le second : Nocte latenter aufugi, atque ad terram comitis Theobaldi proximam, ubi anteâ in cellâ moratus fueram, abscessi[2]. Pasquier n’a rien compris au premier, puisqu’il y a trouvé ce sens : Se retirant en un arrière-coin du monastère, lisait tantôt en philosophie, tantôt en théologie[3]. Ce ne fut nullement dans l’enceinte de l’abbaye de Saint-Denis qu’Abélard dressa une école : il n’en eût pas été moins importun aux moines, dont il censurait les dérèglemens ; et c’était à cause de ses censures qu’ils souhaitèrent de se défaire de lui. M. Ducange explique très-doctement, selon sa coutume, ce que c’est que cella. Voyez la remarque (A) de l’article Paraclet, où j’explique les diverses stations de Pierre Abélard.

(L) Un si grand nombre d’auditeurs. ] Touchant le grand nombre d’écoliers qu’il eut. Voyez la remarque (A) de l’article Foulque, prieur de Deuil.

(M) Sur le mystère de la Trinité. ] L’occasion qui porta notre Abélard à écrire sur cette matière, fut que ses écoliers lui en demandaient des raisons philosophiques. Ils ne se payaient point de paroles, ils aimaient mieux des idées, et ils disaient hautement, qu’il n’était pas possible de croire ce que l’on n’entendait pas, et que c’était se moquer du monde que de prêcher une chose qui est incompréhensible, tant à celui qui parle, qu’à ceux qui écoutent. Humanas et philosophicas rationes requirebant, et plus quæ intelligi, quàm quæ dici possent, efflagitabant ; dicentes quidem verborum superfluam esse prolationem quam intelligentia non sequeretur, nec credi posse aliquid nisi primitùs intellectum ; et ridiculosum esse aliquem aliis prædicare, quod nec ipse nec illi quos doceret intellectu capere possent, domino ipso arguente quòd cæci essent duces cæcorum[4]. Là-dessus, il se mit à leur expliquer l’unité de Dieu par des comparaisons empruntées des choses humaines. Pasquier l’accuse d’avoir soutenu qu’on ne devoit croire une chose dont on ne pouvoit rendre raison ; qui estoit en bon langage, poursuit-il, destruire le fondement général de nostre foi[5]. Je ne lui demande pas qui lui a dit qu’un professeur approuve toutes les fantaisies de ses écoliers, lorsqu’il a la complaisance d’en prévenir autant qu’il peut les mauvaises suites ; car il y a quelque apparence qu’Abélard trouvait assez raisonnables les maximes qu’il attribue à ses auditeurs : mais il ne faut pas appuyer cette apparence sur le passage que Pasquier allègue ; il vaut mieux la fonder sur ces paroles de saint Bernard : Quid magis contra fidem, quàm credere nolle quidquid non possis ratione attingere ? deniquè exponere volens (Abælardus) illud sapientis, qui credit citò, levis est corde ; citò credere est, inquit, adhibere fidem ante rationem [6]. Le traité qu’Abélard composa sur ce sujet plut extrêmement à tout le monde, hormis à ceux qui étaient du même métier que lui ; c’est-à-dire, qui étaient professeurs en théologie. Fâchés qu’un autre eût trouvé des explications et des éclaircissemens qu’ils n’auraient pas pu trouver, ils crièrent à l’hérétique, et firent tant de vacarme, que peu s’en fallut que le peuple ne lapidât Abélard. Duo illi prædicti æmuli nostri ita me in clero et populo diffamaverunt, ut penè me populus paucosque qui advenerant ex discipulis nostris primâ die nostri, adventûs lapidarent, dicentes me tres deos prædicare et scripsisse, sicut ipsis persuasum fuerat[7]. Leurs cabales

    22,000 vers environ que contenait le roman de la Rose, près d’un cinquième (4150 vers) est attribué à Guillaume de Loris ; le reste est de Jean de Meun. Depuis son édition publiée en 1814, M. Méon a eu communication d’un manuscrit de la bibliothèque du roi contenant la seule partie de l’ouvrage attribuée à Guillaume de Loris. Ce manuscrit présente un dénoûment que M. Méon a fait imprimer. Ainsi, Jean de Meun n’acheva pas l’ouvrage, mais en refit la fin sur un plan plus étendu.

  1. Abælardi Oper., pag. 19.
  2. Idem, pag. 26.
  3. Pasquier, Recherche de la France, liv. VI, chap. XVII.
  4. Abælardi Oper., pag. 20.
  5. Pasquier, Recherche de la France, liv. VI, chap. XVII.
  6. Bernard. Epist. CXC.
  7. Abælardi Oper., pag. 10.