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VIE DE M. BAYLE.

Il n’osait pas s’attaquer à lui, et il exhalait son courroux contre M. Huet, et l’immolait à sa fureur. Il a lui-même découvert ce secret, en racontant ses prouesses contre les hétérodoxes, avec toute la malignité dont il était capable. « On vit peu de temps après, dit-il [a], paraître le Commentaire philosophique. Et ce fut le travail de ce livre qui pensa lui renverser la tête. Je compris que le mal était sans remède ; mais je ne pus pas me résoudre à rompre avec lui entièrement, je me contentai de renoncer à ce qu’on appelle les ouvertures du cœur, et les confidences d’amitié. Je le croyais encore honnête païen [b] ; en poursuivant la condamnation de son abominable doctrine sur les droits de la conscience errante de nos synodes, un reste de considération pour mon ancienne amitié me fit épargner son nom : surtout parce qu’il se trouvait un autre nom pour qui j’avais moins d’égards, et sous lequel je pouvais faire mes poursuites. »

(H p. 114.) Cette menace était fondée sur le système prophétique de M. Jurieu. ] Il avait publié en 1686 un livre intitulé : l’Accomplissement des prophéties, ou la délivrance prochaine de l’église. Ouvrage dans lequel il est prouvé que le papisme est l’empire anti-chrétien ; que cet empire n’est pas éloigné de sa ruine ; que cette ruine doit commencer dans peu de temps ; que la persécution présente ne peut durer plus de trois ans et demi ; après quoi commencera la destruction de l’antechrist, laquelle se continuera dans le reste de ce siècle, et s’achèvera dans le commencement du siècle prochain ; et enfin le règne de Jésus-Christ viendra sur la terre. Il y prédisait que la persécution des réformés en France ne pouvait durer plus de trois ans et demi ; que la réformation serait établie par autorité royale, et que la France renoncerait au papisme et le royaume se convertirait. Il ajoutait que la providence destinait à ce royaume une grande élévation ; qu’il arriverait au comble de gloire, en bâtissant sa grandeur sur les ruines de l’empire papal ; et que la totale réformation de la France se ferait sans effusion de sang [c]. M. Jurieu parlait avec tant de confiance et d’un ton si décisif, qu’il fut cru d’une infinité de réformés, tant en France que dans les pays étrangers. On croit facilement ce que l’on souhaite, et une situation triste et affligeante augmente la crédulité. Il y eut plusieurs réfugiés qui retournèrent en France pour y attendre l’accomplissement de ces magnifiques promesses. On a prétendu [d] que tout cela n’était qu’un artifice pour engager les réformés à faire un soulèvement en France : mais M. Jurieu s’imaginait réellement et de bonne foi d’avoir pénétré tous les profonds mystères de l’Apocalypse [e]. Il regardait avec admiration les prophéties de Drabitius, de Kotterus et de Christine Poniatovia, et les égalait presque aux écrits des anciens prophètes.

(I p. 114.) On voyait déjà en France, disait il, des prodiges et des miracles qui étaient les avant-coureurs de ces grands événemens. ] Il mettait au rang des miracles ce qu’on écrivait alors de France, que dans le Béarn et dans les Cévennes on avait ouï des anges chanter des pseaumes dans l’air [f] ; qu’on voyait à Cret, en Dauphiné, une bergère qui avait des extases pendant lesquelles elle disait des choses excellentes et divines, et annonçait une délivrance prochaine [g] ; que dans le Dauphiné plusieurs centaines d’enfans avaient de semblables extases. « L’esprit de Dieu, disait-il [h], est tombé sur les enfans de cette province, de la même façon qu’il était tombé sur la bergère du voisinage de Cret. Quand cette jeune fille fut arrêtée, elle déclara en présence des juges que la peine qu’ils se donnaient était inutile,

  1. Apologie du sieur Jurieu, p. 24, col. 2.
  2. Voyez la Chimère démontrée, préf., pag. clxxvii et suiv.
  3. Voyez M. de Bauval, Réponse à l’Avis de M. Jurieu, p. 25.
  4. Brueys, Histoire du fanatisme de notre temps, etc. Voyez dans le Dictionnaire critique l’article Kotterus, tom. VIII, pag. 602 et 605, remarques (H) et (I).
  5. Accomplissement des prophéties, dans l’Avis à tous les chrétiens.
  6. Lettre pastorale du 1 décembre 1686, p. 49 et suiv.
  7. Lettre du 1 d’octobre 1688, p. 20 et suiv.
  8. Lettre du 15 de mars 1689, p. 107, 108.