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VIE DE M. BAYLE.

pas toujours de Dieu considéré en tant que juste ; il s’agit très-souvent de Dieu considéré en tant que bon. Or, quoique Dieu en tant que juste ne soit obligé de donner aux créatures que ce qui leur a promis sur le pied de récompense, il est obligé en tant que bon de leur faire des présens utiles, c’est-à-dire qu’il est de l’essence de la bonté de faire de bons présens. Ce n’est point faire un beau présent, de donner une chose que l’on sait devoir être funeste à celui qui la recevra.

III. Dieu savait que ses promesses et ses menaces n’empêcheraient pas les hommes de se perdre, et que cent autres secours qu’il ne leur fournirait point les auraient conduits au bonheur sans préjudicier à leur libre arbitre. Comment accordera-t-on avec une telle prévision les idées de la bonté ? N’est-il pas très-évident qu’un véritable bienfaiteur choisit les voies les plus sûres qu’il connaisse, et qu’il ne compte pour rien celles dont il connaît l’inutilité ?

IV. Louerait-on la bonté d’un prince qui laisserait régner les désordres dans ses états, parce qu’enfin il y saurait bien remédier ? Comment ne voit-on pas qu’un tel prince réparerait alors non-seulement les fautes de ses sujets, mais aussi les siennes propres, et que pour le moins pendant quelque temps il aurait cessé d’être bon, de sorte qu’on pourrait trouver en lui la vicissitude de la bonté et de la malice ?

V. Notre nature a été sujette à pécher, cela est sûr, mais s’ensuit-il qu’il fallût nécessairement qu’elle pêchât ? Point du tout. La bonté de Dieu a donc été parfaitement libre de ne pas permettre qu’Adam, sujet au péché, péchât actuellement ; et c’est en vain qu’on voudrait insinuer qu’elle eût agi contre la nature des choses, si elle eût épargné aux hommes un inconvénient à quoi ils étaient sujets, c’est-à-dire dans lequel il était possible qu’ils tombassent. Mais n’était-il pas aussi possible qu’ils n’y tombassent point ?

VI. On ne veut pas moins une chose lorsqu’on en rend infaillible l’événement que lorsqu’on l’en rend nécessaire. Or les causes de la damnation des réprouvés, et leur damnation par conséquent, ont été rendues infaillibles dès-là qu’ils ont été mis dans les conjonctures où Dieu avait prévu qu’ils pécheraient jusqu’à leur mort, et où il avait décrété de ne leur point donner de secours. Il les a donc faits pour le péché et pour les peines des enfers, et si cette objection est forte contre les prédestinateurs, elle le doit être contre l’origéniste.

VII. Que ce soit un degré de miséricorde très-considérable, que de voir un homme abuser de son franc arbitre pendant cinquante ou soixante années sans le secours d’aucune grâce, lorsqu’on sait que cet abus le damnera, c’est ce que les idées de la raison ne font point voir. Elles montrent avec la dernière évidence que la bonté va au secours, non-seulement de ceux qui n’ont pas assez de force pour se tirer d’un péril, mais aussi de