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VIE DE M. BAYLE.

détrônement du roi Jacques ; et je lui ai fait voir que toutes les preuves qu’il allègue contre moi sont impertinentes. S’il se réconciliait avec moi, il faudrait qu’il se reconnût lui-même un infâme calomniateur ; et si je me réconciliais avec lui, il faudrait que je me reconnusse coupable. Voilà ce qui rend la réconciliation impossible. Pour moi, je ne me soucie point de réconciliation. Il me suffit que nos souverains n’aient fait nul cas de ses accusations ; car pendant qu’il n’y aura point de procédure contre moi, il résulte qu’on se moque de ses prétendues preuves. Car quant à la charge qu’on m’a ôtée, c’est un autre fondement. C’est pour un livre de philosophie que j’avais fait neuf ans avant que mon accusateur m’attaquât. Ainsi, au pis aller, ma faute consisterait dans des erreurs de philosophie que les magistrats ne voudraient pas que l’on enseigne à leur jeunesse. Si on m’a ôté une charge pour un tel sujet, jugez ce que l’on aurait fait contre moi pour des crimes d’état, si l’on m’en avait accusé avec fondement. C’est donc une preuve de la calomnie de mon accusateur, que de voir que l’on ne m’a rien dit ni rien fait pour lesdites accusations. Communiquez ceci, je vous prie, au cher frère. C’est le point capital et décisif de mon innocence. »

1695.

M. Bayle continuait de donner tous ses soins à l’impression de son Dictionnaire. Le premier volume fut achevé d’imprimer au mois d’août de l’année 1695 [1]. Le public, prévenu en faveur de M. Bayle, attendait ce livre avec impatience ; mais M. Bayle, peu prévenu en sa faveur, craignait au contraire pour la réussite de cet ouvrage. « Si le public, disait-il à M. le Duchat [2], a conçu quelque espérance, ou quelque bonne opinion de mon Dictionnaire (de quoi j’ai lieu de douter, ne sachant pas sur quoi elle pourrait être fondée), je n’ai qu’à me préparer à bien des murmures : on se trouvera frustré et vilainement abusé, car je vous avoue ingénument que cet ouvrage n’est qu’une compilation informe de passages cousus les uns à la queue des autres, et que rien ne saurait être plus mal proportionné au goût délicat de ce siècle : mais il n’y a remède, jacta est alea. »

1696.

Cependant les libraires des pays étrangers, se réglant sur le goût du public, en demandèrent un si grand nombre d’exemplaires, que ce qu’on avait imprimé du premier volume ne suffisait pas ; de sorte que le sieur Leers fut obligé d’en faire tirer mille de plus du second, et de réimprimer un pareil nombre du premier : sur quoi quelques personnes s’imaginèrent qu’on avait fait une seconde édition de l’ou-

  1. Voyez la lettre à M. Constant, du 22 d’août 1696, p. 570.
  2. Lettre du 9 de janvier 1696, p. 576.