Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
VIE DE M. BAYLE.

imprimé qui courait sous le nom de la reine Christine de Suède. C’était une réponse au chevalier de Terlon, où cette princesse condamnait la persécution de France. « Il y a beaucoup d’apparence, dit-il, que tous les confessionnaux français seraient rigides pour la reine de Suède, s’il était vrai qu’elle eût répondu au chevalier de Terlon la lettre qu’on fait courir, où elle condamne hautement le procédé de la France convertissante, et surtout lorsqu’elle fait réflexion à la conduite du clergé français contre le chef de l’église. Il y a bien des protestans qui n’osent croire qu’une reine qui fait profession de la catholicité ait écrit une telle lettre. » On pria M. Bayle de placer cette lettre dans son journal, et il l’inséra dans celui du mois de mai [1]. La voici [2] : « Puisque vous désirez de savoir mes sentimens sur la prétendue extirpation de l’hérésie en France, je suis ravie de vous le dire sur un si grand sujet. Comme je fais profession de ne craindre et de ne flatter personne, je vous avouerai franchement que je ne suis pas fort persuadée du succès de ce grand dessein, et que je ne saurais m’en réjouir comme d’une chose fort avantageuse à notre sainte religion. Au contraire, je prévois bien des préjudices, qu’un procédé si nouveau fera naître partout.

» De bonne foi, êtes-vous bien persuadé de la sincérité de ces nouveaux convertis ? Je souhaite qu’ils obéissent sincèrement à Dieu et à leur roi, mais je crains leur opiniâtreté, et je ne voudrais pas avoir sur mon compte tous les sacriléges que commettront ces catholiques, forcés par des missionnaires qui traitent trop cavalièrement nos saints mystères. Les gens de guerre sont d’étranges apôtres ; je les crois plus propres à tuer, violer et voler, qu’à persuader. Aussi des relations, desquelles on ne peut douter, nous apprennent qu’ils s’acquittent de leur mission fort à leur mode. J’ai pitié des gens qu’on abandonne à leur discrétion ; je plains tant de familles ruinées, tant d’honnêtes gens réduits à l’aumône, et je ne puis regarder ce qui se passe aujourd’hui en France sans en avoir compassion. Je plains ces malheureux d’être nés dans l’erreur, mais il me semble qu’ils en sont plus dignes de pitié que de haine ; et comme je ne voudrais pas, pour l’empire du monde, avoir part à leur erreur, je ne voudrais pas aussi être cause de leurs malheurs.

» Je considère aujourd’hui la France comme une malade à qui on coupe bras et jambes pour la guérir d’un mal qu’un peu de patience et de douceur aurait entièrement guéri. Mais je crains fort que ce mal ne s’aigrisse, et qu’il ne se rende enfin incurable ; que ce feu caché sous les cendres ne se rallume un jour plus fort que

  1. Art. IV, p. 529 et suiv.
  2. Elle est datée de Rome, le 2 de février 1686.