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ZÉNON.

l’unique moteur, selon les cartésiens, doit faire sur une maison la même chose que sur l’air, qui s’en écarte pendant un grand vent : il doit créer cet air dans chaque moment avec de nouvelles relations locales, par rapport à cette maison : il doit aussi créer dans chaque moment cette maison avec de nouvelles relations locales, par rapport à cet air. Et sûrement, selon les principes de ces messieurs, aucun corps n’est en repos si un pouce de matière est en mouvement. Tout ce donc qu’ils peuvent dire aboutit à expliquer le mouvement apparent, c’est-à-dire à expliquer les circonstances qui nous font juger qu’un corps se meut, et qu’un autre ne se meut pas. Cette peine est inutile, chacun est capable de juger des apparences. La question est d’expliquer la nature même des choses qui sont hors de nous ; et puisqu’à cet égard le mouvement est inexplicable, autant vaudrait-il dire qu’il n’existe pas hors de notre esprit.

IV. Je m’en vais proposer une objection beaucoup plus forte que la précédente. Si le mouvement ne peut jamais commencer, il n’existe point ; or il ne peut jamais commencer : donc... Je prouve ainsi la mineure. Un corps ne peut jamais être en deux lieux tout à la fois : or il ne pourrait jamais commencer à se mouvoir sans être en une infinité de lieux tout à la fois ; car, pour peu qu’il s’avançât, il toucherait une partie divisible à l’infini, et qui correspond par conséquent à des parties infinies d’espace : donc.… Outre cela, il est sûr qu’un nombre infini de parties n’en contient aucune qui soit la première ; et néanmoins un mobile ne saurait jamais toucher la seconde avant la première : car le mouvement est un être essentiellement successif, dont deux parties ne peuvent exister ensemble ; c’est pourquoi le mouvement ne peut jamais commencer, si le continu est divisible à l’infini, comme il l’est sans doute en cas qu’il existe. La même raison démontre qu’un mobile, roulant sur une table inclinée, ne pourrait jamais tomber hors de la table ; car avant que de tomber il devrait toucher nécessairement la dernière partie de cette table. Et comment la toucherait-il, puisque toutes les parties que vous voudriez prendre pour les dernières en contiennent une infinité, et que le nombre infini n’a point de partie qui soit la dernière ? Cette objection a obligé quelques philosophes de l’école à supposer que la nature a mêlé des points mathématiques avec les parties divisibles à l’infini, afin qu’ils servent de lieu, et qu’ils composent les extrémités des corps. Ils ont cru par-là répondre aussi à ce qu’on objecte du contact pénétratif de deux surfaces : mais ce subterfuge est si absurde, qu’il ne mérite pas d’être réfuté.

V. Je n’insisterai guère sur l’impossibilité du mouvement circulaire, quoique cela me fournisse une puissante objection. Je dis en deux mots que s’il y avait un mouvement circulaire, il y aurait tout un diamètre [1] en repos, pendant que tout le reste du globe se mouvrait rapidement. Concevez cela si vous pouvez dans un continu. M. le chevalier de Méré n’oublia pas cette objection dans sa lettre à M. Pascal[2].

VI. Enfin, je dis que s’il y avait du mouvement, il serait égal dans tous les corps : il n’y aurait point d’Achille et de tortues ; un levrier n’atteindrait jamais un lièvre. Zénon objectait cela[3] ; mais il semble qu’il ne se fondait que sur la divisibilité à infini du continu : et peut-être, me dira-t-on, eût-il renoncé à cette instance, s’il eût eu affaire à des adversaires qui eussent admis ou les points mathématiques ou les atomes. Je réponds que cette instance frappe également tous les trois systèmes. Car supposez un chemin composé de particules indivisibles, mettez-y la tortue cent points au devant d’Achille, il ne l’atteindra jamais, si elle marche ; Achille ne fera qu’un point à chaque moment, puisque si en faisait deux il serait en deux lieux tout à la fois. La tortue fera un point à chaque moment : c’est le

    successive active d’un corps, par tout ce qu’il a d’extérieur, à diverses parties des corps qui le touchent immédiatement.

  1. Savoir l’axe.
  2. Je parlerai de cette lettre dans la remarque (D) de l’article suivant.
  3. Voyez la remarque précédente, troisième objection.