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ZUÉRIUS.

avaient une preuve à laquelle il n’y a pas de réplique, qu’ils ont entretenu un commerce peu honnête avec les ennemis de l’état [1]. Il soutint que la cour de France leur renvoyait ces lettres, et qu’en cela elle témoignait la confiance qu’elle avait en eux. En un mot, il soutint que la preuve est telle, qu’en tout autre gouvernement que celui-ci on aurait placé ces messieurs en lieu d’où ils ne seraient jamais sortis. Il n’y a point d’homme raisonnable qui, se puisse persuader que M. Jurieu soit ici dans la bonne foi. Les passions aveuglent, j’en conviens, et l’esprit se bouche aisément en faveur d’un grand désir de vengeance : mais toutes choses ont leurs bornes, et il ne paraît pas possible de se tromper en certain cas. M. Jurieu se souvient très-bien qu’il s’étendit fort dans ces lettres sur les fanatiques du Dauphiné, et qu’il lui échappa des soumissions pour le roi de France, qui le mettaient en prise avec lui-même. Voilà deux endroits qui furent cause que les savans et les beaux esprits qui faisaient leur cour à M. de Montausier connurent ces lettres. M. de Montausier leur fit part, et de ce qu’on lui avait écrit, et de ce qu’il avait répondu ; il laissa tirer des copies de toutes ces lettres : les ennemis de M. Jurieu en France furent ravis d’avoir une preuve et de son hypocrisie, et des négociations où il entrait pour soutenir des fripons qui faisaient les petits prophètes. Ils envoyèrent une de ces copies à un marchand de Hollande qui la fit voir à ses amis, et entre autres à M. de Beauval et à M. Bayle. La chose ne fut point inconnue à M. Jurieu. Ils étaient alors ses grands amis, et ils furent les premiers à lui apprendre que l’on avait vu cette copie. Leur commerce n’en fut pas plus froid pour cela, et ne fut rompu qu’au commencement de 1691, à l’occasion de la chimérique cabale de Genève. M. Jurieu a donc été persuadé pendant plus d’un an que la réception de cette copie n’était pas une preuve de commerce avec la cour de France. Il a cru que certains savans de Paris qui n’avaient pas sujet de le ménager, un M. de Meaux, un M. Pellisson, un M. Nicolle, ayant su de M. de Montausier la teneur des lettres, s’en étaient bien divertis, et avaient consenti de bon cœur que les copies se multipliassent et fussent communiquées aux étrangers. Comment se persuader après cela que l’unique voie de recevoir la copie de ces lettres est d’entretenir un commerce peu honnête avec la cour de France ? N’est-il pas visible que le seul commerce que nos gazetiers entretiennent à Paris suffit à procurer cette copie ? N’est-ce donc point contre sa conscience, et au hasard manifeste de se rendre ridicule, que l’on a osé publier que la réception de cette copie prouvait sans réplique un commerce. si criminel avec la cour de France, qu’en tout autre pays que celui-ci on aurait condamné à une prison perpétuelle, pour le moins, ceux à qui cette copie avait été envoyée [2] ?

XIV. C’est agir de mauvaise foi que de réduire, comme fait M. Jurieu, à ne dire pas des injures, et à faire quelques soumissions générales, ce qu’il a écrit à M. Montausier touchant Louis XIV [3].

XV. C’est agir de mauvaise foi que de supprimer tous les côtés par où les lettres avaient paru dignes d’être copiées et communiquées aux étrangers. Il n’en parle qu’en tant qu’elles proposaient l’échange d’un ministre prisonnier, et d’un homme qui avait offert ses services pour assassiner le roi de France. S’il en avait parlé en tant qu’elles contenaient plusieurs réflexions concernant les petits prophètes, il n’aurait pas osé dire que c’était une affaire d’état. Il y a donc ici un artifice très-malin et très-frauduleux.

Voilà de grandes avances pour découvrir l’imposture. Elle est ou dans le dénonciateur ou dans le ministre dénoncé, et tout parle en faveur de celui-là contre celui-ci.

XVI. Voici de nouveaux préjugés. Les plus grands amis de M. Jurieu n’oseraient nier qu’il ne soit bilieux

  1. Réflexions sur La Dénonciation, pag. 4.
  2. Voyez M. de Beauval, dans ses Considérations sur deux Sermons de M. Jurieu, pag. 42 et suivantes, où il fait l’histoire de ces lettres, et réfute solidement toutes les chicanes de l’accusateur.
  3. Voyez M. de Beauval, là même, pag. 45.