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RORARIUS.

au sentiment de la faim, où au sentiment du froid, ou à la douleur que causent les coups de bâton, etc. Il faudrait donc supposer qu’aucune de ces passions ne se trouve dans les bêtes, et voilà tout l’embarras revenu ; ou bien il faudrait dire que ces esprits sont condamnés à diriger les automates des animaux, afin d’expier leurs péchés en souffrant toutes les passions que les péripatéticiens donnent aux bêtes ; ce qui est contre la supposition du philosophe Gabaliste. Je laisse plusieurs autres difficultés aussi grandes que celles-là, qu’on peut opposer à ce système prétendu bene trovato.

On peut voir dans les Nouvelles de la République des Lettres [1] que M. Vallades, auteur d’un Discours philosophique sur la Création et l’Arrangement du Monde, a expliqué par le mécanisme les actions les plus surprenantes des animaux. Les mêmes nouvelles [2] nous font savoir qu’on a critiqué M. de la Bruyère d’avoir soutenu que les bêtes ne sont que de la matière. Vous trouverez dans ce bel ouvrage de dom François Lami [3] sur la Connaissance de soi-même, un éclaircissement [4] où l’on fait voir qu’on n’a nulle raison solide d’attribuer ni la connaissance ni l’immortalité à l’âme des bêtes ; au lieu qu’on ne peut raisonnablement se dispenser de donner l’une et l’autre à l’âme de l’homme. Cet éclaircissement mérite d’être bien lu, et surtout parce qu’on y trouve la solution de la plus embarrassante difficulté du système des automates ; car l’auteur montre que chacun se peut convaincre par de très-fortes raisons que les autres hommes ne sont pas de simples machines, et c’est néanmoins ce qu’on tâche d’inférer de ce que les bêtes seraient composées d’organes si bien arrangés, qu’elles pourraient faire sans connaissance tout ce que nous leur voyons faire. Si Dieu pouvait fabriquer une semblable machine, réplique-t-on, il pourrait aussi en composer d’autres qui feraient toutes les actions de l’homme, et par conséquent nous ne pourrions être assurés que de notre propre pensée, et nous devrions douter que les autres hommes pensassent. Le père Gisbert, professeur royal dans l’université de Toulouse, est un de ceux qui ont publié des livres contre le sentiment des cartésiens sur l’âme des bêtes [5]. Notez qu’on a soutenu ce sentiment dans un cours de philosophie dicté [6] à Paris au collége des Quatre Nations, et puis imprimé en la même ville, l’an 1695, sous le titre de : Institutio philosophica ad faciliorem veterum ac recentiorum Philosophoram Lectionem comparata. Il contient quatre volumes in-12. On voit dans le troisième, depuis la page 271 jusqu’à la page 29, ce qui concerne l’âme sensitive. Je ne doute point que M. Bayle, docteur en médecine ne et professeur aux arts libéraux de Toulouse, n’ait embrassé sur ce point-là le système cartésien dans la physique qu’il a publiée depuis en trois volumes in-4°. [7].

Je pourrais faire un long supplément sur ce que j’ai dit [8] de l’opinion de M. Poiret, mais j’aime mieux supprimer cela, et indiquer seulement un écrivain [9] qui a recueilli quantité d’éruditions touchant le dogme platonique de la matière éthérée qui accompagne les âmes à leur entrée dans les corps, et à leur sortie.

(L) Aux notes que je veux faire sur les réflexions : M. Leibnitz. [* 1] ] Je commence par déclarer que je me félicite beaucoup des petites difficultés que j’ai proposées contre le système de ce grand philosophe, puisqu’elles ont donné lieu à des réponses qui m’ont mieux développé

  1. * Joly observe Leibnitz a répondu à ces notes dans l’Histoire critique de la République des Lettres, tom. XI, art. IV ; et ajoute qu’on peut aussi consulter les articles II, III et V du même volume.
  1. Au mois d’octobre 1700, pag. 419.
  2. Mois d’avril 1701, pag. 433 et suiv.
  3. Bénédictin de la congrégation de Saint-Maur.
  4. Au tome V, pag. 526 et suiv., édit. de Paris, 1698.
  5. Voyez le Journal des Savans du 16 de janvier 1690, pag. 49, édition de Hollande.
  6. Par M. Pourchot.
  7. Voyez l’extrait du Ier. dans les Nouvelles république des Lettres, février 1701, pag. 209 et suiv. Cela donne une grande idée du mérite de l’ouvrage.
  8. Ci-dessus, remarque (H), au premier alinéa.
  9. Renatus Vallinus, ad librum III Boëtii, de Consolatione Philosophiæ, pag. 62 et seq.