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RONSARD.

treprit plus d’honnorer et louer, que d’aimer et servir. Tesmoin le titre qu’il a donné à ses louanges. imitant en cela Petrarque, lequel comme un jour en sa poësie chaste et modeste on louoit devant la royne, mere du roy, sa majesté l’excita à escrire de pareil stile, comme plus conforme à son age, et à la gravité de son sçavoir : et ayant, ce luy sembloit, par ce discours occasion de vouer sa muse à un sujet d’excellent merite, il print le conseil de la royne pour permission, ou plutost commandement de s’addresser en si bon lieu, qui estoit une des filles de sa chambre, d’une tres-ancienne et tres-noble maison en Saintonge. Ayant continué en ceste volonté jusques à la fin, il finit quasi sa vie en la louant. Et parce que par son gentil esprit elle luy avoit souvent fourny d’argument pour exercer sa plume, il consacra à sa memoire une fonteine en Vandosmois, et qui encor aujourd’hui garde son nom[1]. »

Le Recueil des plus belles Pièces des Poëtes francais tant anciens que modernes, imprimé à Paris l’an 1692, contient une Vie de Ronsard où j’ai trouvé une faute qu’il est bon de rectifier ici. Il chanta la gloire d’Hélène de Sugères, qui était une des filles d’honneur de la reine, et pria le cardinal du Perron de faire une préface au commencement de ces poésies galantes-ci, dans laquelle il le conjurait de dire qu’il avait aimé cette fille honnêtement. Le cardinal lui répondit qu’au lieu de préface, il n’y avait qu’à mettre le portrait[* 1] d’Hélène de Sugères au commencement de son livre [2]. Comme du Perron n’était qu’un jeune homme quand Ronsard mourut, ce n’eût pas été à lui que ce grand poëte aurait demandé une préface. La vérité est qu’il ne s’adressa à personne pour un tel service ; ce fut la dame qui demanda cette préface au cardinal du Perron[* 2]. Qu’on lise le Perroniana, au mot Gournai, l’on y trouvera ces propres termes [3] : C’est ce que je dis une fois à mademoiselle de Surgères, qui me priait, chez M. de Retz, que je fisse une épître devant les œuvres de Ronsard, pour montrer qu’il ne l’aimait pas d’amour impudique. Je lui dis, au lieu de cette épître, il y faut seulement mettre votre portrait.

(I) Il en avait du chagrin... il se souvenait que ces poésies de contrainte ne lui avaient rien valu. ] Prouvons cela par un passage de Claude Binet. « [4] Il m’a dict maintefois qu’aucunes pieces de ses amours et des mascarades avoient esté forgées sur le commandement des grands, voulant dire qu’ils avoient souvent forcé sa Minerve et n’y avait pris grand plaisir, quelques autres en ayant remporté la recompense : c’est pourquoy il fit mettre au devant de ces ouvrages-là les vers de Virgil,

Sic vos non vobis ...........


et les suivans, On sçait assez en faveur de qui il fit les amours de Callyrée, qui estoit une très-belle dame de la cour de la noble maison d’Atry [5], surnommée Aquaviva : comme il l’exprime assez en ce Sonnet qui commence,

La belle eau vive : ........


et ceux d’Astrée[6] qui fut aussi une fort belle dame de la cour, dont le nom est assez embelly par le seul desguisement d’une voyelle changée en la prochaine premiere. » On peut conclure de ces paroles que ce grand poëte n’avait pas tout le désintéressement qu’un honnête homme doit avoir. Il lui serait très-glorieux d’avoir fait paraître plus d’éloignement de cet esprit mercenaire qui est si commun parmi les amis des muses, et je suis surpris que Claude Binet ait eu l’ingénuité de nous apprendre les plaintes qui lui avaient été confiées touchant le défaut de récompense. Quoi qu’il en soit, nous avons ici une preuve que l’on peut faire des vers passionnés sans être amoureux de la personne qui est le sujet d’une

  1. (*) Parce qu’elle était laide.
  2. * Leclerc observe que du Perron n’était pas encore abbé à l’époque dont il est question.
  1. Là même, pag. 142, 143.
  2. Recueil des plus belles Pièces, tom. I, pag. 241, 242, édition de Hollande.
  3. Voyez l’article Gournai, tom. VII, pag. 186, remarque (B).
  4. Binet, Vie de Ronsard, pag. 141, 142.
  5. J’ai parlé de cette dame, tom. VIII, pag. 315, à la fin du texte de l’article Jaccétius.
  6. C’était une dame de la maison d’Estrée.