Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T12.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
PYTHÉAS.

1661 [1]. Le cardinal Maurin était mort depuis huit mois ; et il y avait plus de dix ans que le Portugal avait secoué le joug de l’Espagne.

  1. Voyez les Mémoires de Frémont d’Ablancourt, pag. 12.

PYTHÉAS, était natif de Marseille. La plus grande précision qu’on puisse donner, ce me semble, sur le temps où il a vécu, est de le mettre au siècle d’Alexandre-le-Grand (A). Il fit des ouvrages de géographie (B), qui apparemment n’étaient autre chose que la relation de ses voyages. Il abusa étrangement de la maxime, A beau mentir qui vient de loin ; car il n’y eut sortes de fables qu’il ne racontât des pays septentrionaux qu’il se vantait d’avoir vus. Il n’ignorait pas que peu de témoins oculaires lui pourraient donner le démenti ; mais la postérité pour le moins ne laissa pas impunie son audace. Polybe le poussa terriblement : Strabon tombe sur lui en plusieurs rencontres avec la dernière dureté[a]. Ces deux auteurs n’étaient point capables d’endurer qu’il racontât impunément qu’à l’île de Thule (C), à six jours de la Grande-Bretagne, vers le nord, et dans tous ces quartiers-là, il n’y avait ni terre, ni mer, ni air, mais un composé des trois, semblable au poumon marin (D), sur lequel la mer et la terre étaient suspendues, et qui servaient comme de lien à toutes les parties de l’univers, sans qu’il fût possible d’aller là ni à pied, ni sur des vaisseaux. Il se vanta d’avoir vu cette substance qui ressemblait au poumon de la mer ; et pour le reste il avoua qu’il n’en parlait que par ouï-dire. Il se vantait aussi d’avoir voyagé par tous les pays de l’Europe qui sont sur la mer océane, depuis Cadix jusques au Tanaïs ; ce que Polybe ne pouvait croire d’un petit particulier comme lui, mal pourvu d’argent[b]. On avoue pour le moins qu’il n’a pas mal entendu les propriétés des terres septentrionales, eu égard aux aspects du soleil[c] : et ce qu’il disait[d] que les barbares leur montraient le lieu où cet astre s’en allait dormir, et qu’il y avait là des pays où la nuit ne durait que trois heures ; et d’autres où elle n’en durait que deux, ne sent point du tout la fable, et lui fait infiniment plus d’honneur qu’une autre chose que Pline rapporte après lui : c’est qu’il y avait une île à une journée du pays des Guttons, peuple d’Allemagne, dans laquelle on se servait d’ambre au lieu de bois, pour faire du feu[e]. On fera bien de consulter l’apologie que Pierre Gassendi composa pour Pythéas (E) à la prière de M. de Peiresc. Ces deux illustres Provençaux furent bien aises de travailler à la gloire de leur province, en soutenant la réputation d’un écrivain né à

  1. Πυθέας ἀνὴρ ψευδέστατος ἐξήτασται. Putheas homo mendacissimus inventus est. Lib. I, pag. 43. Vide etiam, pag. 44 ; est libr. II, pag. 71, 79 ; libro IV, pag. 139.
  2. Φησὶ δ’ οὖν ὁ Πολύβιος ἄπιστον καὶ αὐτὸ τοῦτο πῶς ἰδιώτῃ ἀνθρώπῳ καὶ πένητι τοσαῦτα διαστήματα πλωτὰ καὶ πορευτὰ γένοιτο. Polybius autem id quoque incredibile ait esse, privatum hominem, eumque pauperem tantùm spatii mari terrâque obivisse. Strabo, lib. II, pag. 71.
  3. Strabo, lib. IV, pag. 139.
  4. Apud Geminum, Isagog. ad Phænum.
  5. Incolas pro ligno ad ignem uti eo, proximisque Teutonis vendere. Plin., libro XXXVII, cap. II.