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PYTHAGORAS.

posse, in quibus futura cernantur. Talia specula non pro hominibus tantium, sed et natonibus, urbibus, seculis, ut illi aiunt, fabricari possunt [1] [* 1].

  1. * On a débité dans une satire contre les jésuites, intitulée : De Studiis abstrusioribus Jesuitarum, « que le père Coton faisait voir au roi » (Henri-le-Grand), dans un miroir étoilé, ce qui se passait és cours et cabinets de tous les princes du monde (Réponse apologétique à l’Anti-Coton, pag.  141). » Et le jésuite qui me l’apprend s’échauffe beaucoup trop à réfuter ce conte. Nicolas Pasquier en rapporte un tout semblable : et notez qu’il ne le fait point pour s’en mocquer ; mais qu’il le raconte le plus sérieusement du monde dans une lettre toute remplie de pronostications qui devancèrent la mort de Henri-le-Grand. Je le transcrirai d’autant plus volontiers ici, que c’est un des plus circonstanciés en ce genre, et par conséquent des plus propres à en faire sentir le ridicule. « La feue reine-mère (Catherine de Médicis) dit Pasquier, (Lettres de Nicolas Pasquier, pag.  10), désireuse de savoir si tous ses enfans monteraient à l’état, un magicien dans le château de Chaumont, qui est assis sur le bord de la rivière de Loire entre Blois et Amboise, lui montra dans une sale, autour d’un cercle qu’il avait dressé, tous les rois de France qui avaient été et qui seraient, lesquels firent autant de tours autour du cercle qu’ils avaient régné et devaient régner d’années : et comme Henri troisième eût fait quinze tours entiers, et voulant achever le vingt et unième, il disparut. À La suite vint un petit prince de l’âge de huit à neuf ans, qui fit trente-sept ou trente-huit tours : et après cela toutes choses se rendirent invisibles parce que la reine-mère n’en voulait point davantage. » Remarquez que son prétendu enchantement cloche dès qu’il entre dans l’avenir. Il dit bien qu’Henri III fit quinze tours, et qu’Henri IV en fit vingt et disparut au vingt et unième, parce qu’il écrit après l’événement (son livre fut publié en 1623. Sa lettre est sans date ; mais il paraît qu’elle fut écrite peu de jours après la mort de Henri IV) ; mais dès qu’il parle du règne de Louis XIII, il s’égare. Il lui fait faire trente-sept ou trente-huit tours ; ce qui l’aurait conduit jusqu’en 1647 ou 1648 : au lieu que tout le monde sait qu’il n’alla que jusqu’en 1643. L’auteur d’un petit libelle intitulé : Remarques sur le gouvernement du royaume durant les règnes de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV, imprimé à Cologne, chez Pierre Marteau, en 1688, in-12, a tourné ainsi ce conte. L’on dit qu’elle (Catherine de Médicis) se servit aussi des enchantemens de ses devineurs pour savoir les successeurs de son fils ; et que par le moyen d’un miroir ils lui faisaient apparaître qui devait régner après l’extinction de la race des Valois. Le premier qui parut fut Henri IV ; mais elle conçut une aversion et une haine implacable contre ce prince, s’étant toujours efforcée depuis cette vue de le perdre par tous les artifices imaginables.

    … Notumque furens quid fœmina possit.

    Il est assez notoire que ce que peut faire une femme en furie, et qu’il n’y a rien dont elle ne vienne à bout. Mais Dieu délivra ce monarque de toutes ses embûches. Après le roi Henri IV, le miroir lui fit paraître Louis XIII, Louis XIV avec une taille et un port plein de majesté. Après quoi parut dans le miroir une troupe de jésuites, qui devaient à leur tour être les maîtres de la France. Elle n’en voulut point voir davantage, et fut même sur le point de casser le miroir ; mais il fut pourtant conservé, et plusieurs assurent qu’il est encore à présent dans le Louvre (Remarques sur le Gouvernement du royaume, etc., pag. 15 et 16). Il est tout visible que ce récit n’est qu’une copie revue et augmentée de celui de Nicolas Pasquier ; mais admirez avec quelle hardiesse on l’a falsifié. I. On y fait paraître Henri IV le premier, au lieu que Pasquier fait paraître avant lui tous ses prédécesseurs. II. On y étend jusqu’à Louis XIV et au delà ce qu’il n’avait conduit que jusqu’à Louis XIII. III. On y insinue que cela se passa au Louvre, au lieu qu’il dit que ce fut à Chaumont sur Loire, IV. On y parle d'un miroir, et il ne perle que d’un cercle. V. On y conserve ce miroir, qui est, dit-on, encore au Louvre. VI. On dit que Catherine de Médicis voulut casser le miroir, au lieu que Pasquier dit qu’elle se contenta de ne vouloir plus rien voir. Je ne dis rien de cette réflexion si ingénieusement placée, et que l’on contredit tout aussitôt ; ni de cette belle prédiction en faveur des jésuites, dont nous voyons si bien aujourd’hui la fausseté ; ni de ce qu’on avance si ridiculement touchant la cause de la haine de Catherine de Médicis pour Henri IV : on sait assez qu’elle avait d’autres raisons de ne le point aimer. On trouvera peut-être que c’est trop insister sur de telles bagatelles ; mais il n’est pas aussi inutile qu’on le pourrait penser de réfuter ces sortes de traditions, et d’en faire voir le progrès, puisqu’on voit tous les jours des personnes assez crédules pour les admettre et pour les débiter sans honte. Combien y a-t-il de gens, par exemple, qui ont lu le dernier de ces récits sans savoir et sans soupçonner que ce n’était qu’une broderie de celui de Pasquier ? Tel est la destin de ces sortes de traditions : elles s'accroissent avec le temps : l'on peut fort bien leur appliquer le

    Vires acquirit eundo.

    Rem. crit.
  1. Morhofius, Poly-Hist., lib. I, cap. X, pag. 96.

(M) Je m’arrêterai peu sur la métempsycose.] On prétend que Pythagoras se glorifiait là-dessus d’un privilége tout particulier [* 1] ; car il se vantait de se souvenir dans quels Pythagoras. Mais il ne remontait que corps il avait été avant que d’être jusqu’au siècle du siége de Troie. II avait été premièrement Æthalide, fils Putatif de Mercure, et ayant à son choix de demander à ce dieu tout ce qu’il voudrait, il lui demanda la grâce de se souvenir de toutes choses, même après sa mort. Quelque temps après il fut Euphorbus, et reçut de

  1. * L’auteur des Observations insérées dans La Bibliothéque française, XXX, 3, remarque que ce privilége n’est pas le seul du moins qui se soit vanté d'un tel privilége, puisque Julien, dit l’Apostat, au rapport de Socrate (Histoire ecclésiastique, III, 21), croyait posséder l’âme d’Alexandre-le-Grand.