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PAULICIENS.

deux villes[1]. On poussait tellement à bout les stoïciens, qu’on les contraignit de soutenir que le vice était utile ; car autrement, disaient-ils, il n’y eût pas eu de vertu.[2] *** Homines fecisse dicatur : tantam vim esse œrumnarum et malorum. Adversùs ea Chrysippus quùm in libro περὶ προνοίας (peri pronoias) quarto dissereret, nihil est prorsùs istis, inquit, imperitius, nihil insipidius, qui opinantur bona esse potuisse, si non essent ibidem mala. Nam quùm bona malis contraria sint, utraque necessarium est opposita inter sese et quasi mutuo adverso quœque fulta nisu, consistere. Nullum adeò contrarium sinè contrario altero. Quo enim pacto justitiæ sensus esse posset, ni essent injuriæ ? aut quid aliud justitia est, quam in justitiæ privatio ? quid item fortitudo intelligi posset, nisi ex ignaviæ oppositione ? quid continentia nisi ex intemperantiæ ? quo item modo prudentia esset, nisi foret contrà imprudentia ? proindè, inquit, homines stulti cur non hoc etiam desiderant ut veritas sit et non sit mendacium ? namque itidem sunt bona et mala, felicitas et infortunitas, dolor et voluptas. Alterum enim ex altero, sicuti Plato ait, verticibus inter se contrariis deligatum est. Sustuleris unum, abstuleris utrumque.

Voyons avec quelle force Plutarque les a réfutés[3] : « Donques faut-il inférer, que il n’y a point de bien entre les dieux, puis qu’il n’y peut avoir de mal, ni apres que Jupiter aura resolu toute la matiere en soy, et sera devenu un, ayant osté toutes autres diversitez et differences, ce ne sera donc plus rien que le bien : attendu qu’il n’y aura plus rien de mal. Et il y aura accord et mesure en une danse sans que personne y discorde, et santé au corps humain sans que nulle partie d’icelui en soit malade ni dolente, et il ne se pourra faire qu’il y ait de la vertu sans le vice….. Et m’esbahis qu’ils ne disent aussi que la phthise, quand on crache les poulmons, a esté mise en avant pour le bon portement, et la goutte pour la bonne disposition des pieds, et qu’Achilles n’eust pas esté chevelu, si Thersites n’eust esté chauve : car quelle difference y a-t-il entre ceux qui alleguent ces folies et resveries-là, et ceux qui disent que la dissolution, et paillardise n’a pas esté mise sus pour la continence, et l’injustice pour la justice, afin que nous prions aux dieux que tousjours il y ait de la meschanceté,

Et qu’il y ait tousjours des menteries,
Propos rusés et fines tromperies.

Si ces choses-là ostées, la vertu s’en va quand et quand perdue et perie. Mais veux-tu encore voir ce qu’il y a de plus galant et de plus elegant en la gentille invention et deduction ? Tout ainsi, dit-il[4], que les comedies ont quelquefois des epigrammes ou inscriptions ridicules, lesquelles ne valent rien quant à elles, mais neanmoins elles donnent quelque grace à tout le poëme : aussi est bien à blasmer et ridicule le vice quant à lui ; mais quant aux autres il n’est pas inutile. Premierement donc c’est chose qui surpasse toute imagination de fausseté et absurdité, de dire que le vice ait esté fait par la divine providence, ni plus ni moins que le mauvais epigramme a esté composé par la volonté expresse du poëte. Car comment, si cela est vrai, seront donc plus les dieux donneurs des biens que des maux ? Et comment est-ce que le vice sera plus ennemi et haï des dieux ? Et que pourrons-nous plus respondre à ces sentences-ci des poëtes qui sonnent si mal aux aureilles religieuses,

Dieu fait sortir en estre quelque cause,
Quand d’affliger du tout il se dispose
Une maison : ..................

Et ceste autre,

Lequel des dieux les a ainsi poussez
A contester en termes courroucez[5].

  1. Critolaüs inquam, evertit Corinthum, Carthaginem Asdrubal. Hi duos illos oculos oræ maritimæ effoderunt, non iratus alicui, quem omninò irasci posse negatis, Deus, etc. Idem, cap. XXXVIII.
  2. Aulus Gellius, lib. VI, cap. I : les astérisques qu’on marque ici y témoignent qu’il y a une lacune dans cet endroit d’Aulu-Gelle.
  3. Plut., adversùs stoïcos, pag. 1065 : je me sers de la version d’Amiot.
  4. C’est-à-dire Chrysippe, au IIe. livre de la Nature.
  5. Iliad., liv. I.