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PATIN.

sieurs notes que cet écrivain étale avant que de dire que l’acception de personnes avait lieu dans l’exécution de l’ordonnance de Henri II. Le temps où il écrivait témoigne assez clairement qu’il avait en vue les punitions qui suivirent cette ordonnance. Quant aux femmes meurdrieres de leurs enfans, dit-il[1]……, « le nombre est grand tant de celles qui sont meurdrieres de leurs enfans si tost qu’ils sont venus au monde, que de celles aussi qui exercent telle cruauté contr’eux avant mesme qu’ils y soient venus. Et premierement quant à celles-ci, il est certain que leur meschanceté est fort ancienne. Car nous oyons le poëte grec Phocylide expressément avertir les femmes qu’elles se donnent garde de commettre tels actes. Et mesmement Ovide, payen aussi bien que lui, en fait grand reproche à une femme, ajoustant plusieurs belles remonstrances. Item nous oyons comment Hippocrat entr’autres choses, desquelles il fait serment qu’il se gardera, met ceste-ci, de ne presenter point aux femmes ce dont elles puissent gaster le fruit de leur ventre. Or se pratique ceste meschanceté pour deux raisons : par les unes, pour la crainte qu’elles ont d’estre congnues femmes au lieu de filles, ou generalement, de peur qu’elles ne soyent descouvertes avoir fait leur emploite où il n’estoit licite, soyent mariées, soyent veufves : par les autres, pour la crainte qu’elles ont d’abreger le terme de leur jeunesse[2], et particulierement pour crainte de ce que dict Ovide,

Scilicet ut careat rugarum crimine venter [3],
Sternetur pugnæ tristis arena tuæ !


Et quant à ce que j’ay dict de l’abbregement de la jeunesse, ce mesme poëte aussi le tesmoigne, disant :

Adde quòd et partus faciunt breviora juventæ
Tempora ...............


Et sans son tesmoignage nous en voyons tous les jours l’experience devant nos eux. J’ay ouy parler aussi de quelques damoiselles, voire en ay congnu, qui n’ont point faict difficulté de porter des bustes aux despens du fruict qui estoit en leur ventre : et pour ne perdre l’honneur d’avoir le corps gent, ne faisoyent point de conscience de perdre ce qui leur devoit estre aussi cher que la vie. Car je parle de celles mesmement qui n’estoyent enceintes d’ailleurs que d’où il falloit. Quant à celles qui sont meurdrieres de leurs enfans aussi-tost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monasteres des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent en leur ventre) voire desja du temps de Pontanus : tesmoin ceci qu’il dit, quòd quidem execrationis genus maximè sacerdotes attingit, quæ Deo virginitatem quùm voverint, pollutis tamen votis, rituque sacerdotali perjuranter atque incestè contaminato, gravidæ factæ, ne scelus pateat, execrabiliori conantur scelere idipsum probibere ac corrigere : dùm aut medicaminibus adhibitis abortionem procurant, aut partum statim ipsum exanimant, terræque aut cloacis clàm infodiunt. Or quand je di qu’on en eust trouvé bon nombre il y a quelques années, je n’enten pas qu’on fust en peine aujourd’huy d’en trouver si on en avoit afaire, mais bien que le nombre en estoit plus grand alors qu’à present : tant pource que le nombre aussi des nonnains estoit plus grand, que pource qu’elles avoient plus grande peur d’estre deshonorées, voire mesme chapitrées, si elles estoyent convaincues d’avoir joué de la navette, qu’elles n’ont maintenant, que leurs peres confesseurs ne font pas tant des fascheux[4],

  1. Henri Étienne, Apologie d’Hérodote, liv. I cap. XVIII, pag. 223 et suiv, édit. d’Anvers, 1568, in-8o.
  2. Voyez, ci-dessus, la citation (38) ; mais notez qu’Henri Etienne fait ici une grosse faute ; car il applique ces deux vers d’Ovide aux mères qui font périr leur fruit par d’autres raisons que celle de couvrir leur crime. Voyez ci-dessous, citation (56), que cette crainte rugarum ventris n’est pas la crainte d’effacer quelques agrémens corporels, mais la crainte de porter des marques convaincantes d’une grossesse précédente.
  3. Voyez ci-dessous, citation (55).
  4. Henri Étienne s’abuse ici ; car de son temps les désordres des monastères, et la conni-