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PATIN.

sérer dans l’arrêt de condamnation, que l’ordonnance serait publiée à son de trompe, dans toutes les villes où il y avait des tribunaux de justice ; et que les curés la publieraient au prône les jours de fête, dans tous les bourgs et villages[1]. Néanmoins ce crime continua d’être plus commun que tous les autres ; car M. de Thou témoigne qu’il se passait peu de semaines où les juges criminels de Paris ne missent sur la sellette une ou plusieurs femmes accusées de ce parricide ; tant la honte a de force, puisque dans un sexe timide elle prévaut sur la crainte du gibet, et sur les remords de la conscience. In nullum crimen ab eo tempore severiùs vindicatum fuit. Ac ne qua ignorantiæ excusatio prætexeretur, sententiis judicum semper additum est, ut lex in inferioribus tribunalibus palàm et per plateas urbium publicâ præconis voce promulgaretur, et per oppida ac pagos à curionibus coram populo diebus festis recitaretur. Nihilominùs nullum frequentiùs crimen etiam hodiè est, nec ulla ferè septimana abit, quin in classe, quæ de judiciis capitalibus cognoscit, una pluresve tam horrendi flagitii reæ producantur ; adeò malus pudor in verecundo et impotenti sexu supplicii terrorem, et quod omni corporis pænâ gravius est, conscientiæ morsus vincit[2]. Il est bon de rapporter ce qui donna lieu à cette loi. On avait été averti que plusieurs femmes, pour éviter l’infamie, tuaient leurs enfans en accouchant, et les jetaient ou dans le rivière, ou dans le privé, ou les enterraient dans un lieu profane, sans les avoir initiés au christianisme par le baptême. Celles qui étaient poursuivies en justice pour ce crime, disaient aux juges, que la honte ne leur avait pas permis de découvrir qu’elles fussent grosses, mais qu’au reste contre leur désir leurs enfans étaient nés morts. Elles, se tiraient d’affaire par-là ; on n’avait point de preuves que le contraire fût vrai, et le plus grand nombre des juges opinaient qu’elles fussent mises à la question. Si elles la souffraient sans avouer qu’elles eussent mis à mort l’enfant, elles étaient déchargées de toute peine. L’on crut donc que l’impunité faisait croître ce désordre. On sollicita une loi très-rigoureuse : on l’obtint, elle fut exécutée sévèrement ; et néanmoins le mal ne fut point guéri. Écoutons M. de Thou[3] : Altera lex in speciem severa, sed quâ impiis et abominandis parricidiis, quæ anteà impunita, nunc etiam post legem conditam nimis frequentia sunt, pœna constituta est, postulante senatu, promulgatur V, non. martias. Fæminæ, quæ vires non habebant, ubi ex furtivo complexu conceperant, malo pudore territæ utero celato ad extremum partus ferè enecabant, geminato scelere famæ consulere se existimantes, et enecatos aut in sterquilinium, seu profluentem abjiciebant, aut loco profano defossos perdebant, atque ita necessaria sacri lavacri religione ac sepulturæ honore privabant. Quòd si quandò res in judiciam deduceretur, pudorem, quominùs culpam confessæ essent, caussatæ mortuos se enixas dicebant, et ita deficientibus aliundè probationibus debitam inhumano sceleri pœnam effugiebant. Nam judicum in hujusmodi caussis incertæ plerùmque erant et vagabantur sententiæ, cùm ad mortem alii tanti criminis reas damnarent ; alii, quod sæpiùs accidebat, pronioribus ad misericordiam animis, quæstionum violentiæ subjiciendas censerent, ut vivosne an mortuos fœtus enixæ essent ex ipsarum confessione constaret ; quam si obstinato animo ferrent, liberæ dimittebantur[4].

Ceci confirme puissamment quelques-uns des dogmes de l’auteur des Pensées sur les Comètes[5]. Car qui oserait nier après avoir lu cet endroit de M. de Thou, que les idées du point d’honneur ne soient la plus forte digue qui arrête le torrent de l’incontinence ? Qui oserait soutenir, généralement parlant, que les lois de la religion soient un remède plus efficace,

  1. Voyez la remarque (E), à la fin.
  2. Thuanus, lib. XIX, pag. 395, ad ann. 1557.
  3. Idem, ibidem.
  4. Nous dirons ci-dessous, remarque (D), que l’usage des avortemens est fort ancien. Voyez les commentateurs de Minucius Félix, in editione Ouzelianâ, sur ces paroles : Sunt quæ in ipsis visceribus medicaminibus epotis, originem futuri hominis extinguant, et parricidium faciant antequàm pariant.
  5. Voyez les articles CLXII, CLXIII, des Pensées sur les Comètes.