Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
447
PATIN.

(B) S’il vaudrait mieux que ses lettres eussent été destinées au public, que pour l’usage .... de ceux à qui il les écrivait. ] S’il les eût faites pour les publier, il les eût remplies d’érudition et d’observations exactes

    parle lui-même de sa famille. « Vous désirez que je vous dise quelque chose de ma famille, après m’avoir instruit de la vôtre : je le ferai très-volontiers et très-librement, à cause de vous. Joint que, absit verbo jactantia, vous me demandez une chose que vingt autres personnes ont désiré par ci-devant de moi, qui néanmoins ne me connaissaient que par lettres la plupart. Croyant qu’il n’y avait en cela aucun mal, comme je l’ai pris en bonne part, je leur ai dit ce que je vous dirai tout présentement. Mon lieu natal est un village à trois lieues de Beauvais en Picardie, nommé Houdan, troisième baronie du comte de Clermont en Beauvaisis. Le plus ancien de ma race, que j’ai pu découvrir, a été un Noël Patin, qui vivait dans la même paroisse, il y a plus de trois cents ans, duquel la famille a duré jusques à moi. De ses descendans quelques-uns se sont retirés dans les villes, et y ont été notaires à Beauvais, et marchands drapiers à Paris : d’autres ont porté les armes, d’autres sont demeurés aux champs. Mon grand père, de qui je porte le nom, avait un frère conseiller au présidial, et avocat du roi à Beauvais, qui était fort savant, et duquel feu mon père honorait fortement la mémoire. Mon grand-père était homme de guerre, comme tout ce temps-là fut de guerre. Feu mon père avait étudié pour être ici avocat, où il fut reçu l’an 1588, huit jours avant les barricades, après avoir étudié a Orléans et à Bourges, sous feu messieurs Fournier et Cujas. Il se fût arrêté à Paris pour toute sa vie, si la mort du roi Henri III, et le siége de Paris, qui ensuivit, ne l’en eût empêché. L’an 1590 il fut pris prisonnier par les ligueurs, et ne put être racheté à moins de quatre cents livres, qu’il fallut payer au comptant, somme qui n’est pas grande aujourd’hui, mais qui l’était alors, et principalement en temps de guerre et aux champs. Feu ma grand’mère m’a dit que pour parachever cette somme, ramassée çà et là, elle engagea ses bagues de mariage, et son demi-ceint d’argent, chez un orfèvre de Beauvais, à gros intérêt ; ce que je lui ai mainte fois ouï dire en pleurant, et détestant le malheur de ce temps-là. Le seigneur de notre pays, voyant qu’il pouvait tirer bon service de feu mon père, qui était un jeune homme bien fait, qui parlait d’or, et qui n’était point vicieux, fit tant qu’il le retint près de soi pour s’en servir en ses affaires, annuente avo meo, imò urgente : et pour l’attacher davantage, et le retenir au pays, lui procura le plus riche parti qui y fût, et lui fit épouser, avec de belles promesses qu’il n’a jamais exécutées, feu ma mère, laquelle s’appelait Claire Manessier, descendue d’une bonne et ancienne famille d’Amiens. Feu mon père s’appelait François Patin, homme de bien si jamais il en fut un. Si tout le monde lui ressemblait il ne faudrait point de notaire. Il venait à Paris tous les ans pour les affaires de son maître, où il avait tout le crédit imaginable. J’y ai trouvé quantité d’amis, que je ne connaissais point du tout, qui m’ont fait mille caresses à cause de lui ; ce qui me l’a fait maintefois regretter de plus en plus. De ce mariage sont sortis sept enfans adhùc superstites : deux fils dont je suis l’aîné, et un frère qui est en Hollande : les cinq filles sont toutes cinq mariées, et ont eu entre elles tout le bien de la mère, lequel étant partagé en cinq a suffi pour les marier : mon frère et moi avons eu le bien paternel qui ne me vaut pas encore, apporté ici, cent écus de rente ; mais ce n’est pas la faute de ces bonnes gens, qui ont vécu moribus antiquis, sans avance et sans ambition. Tout le malheur de feu mon père était d’avoir un maître ingrat et avare, et avec lequel il n’a rien gagné, nonobstant presque trente années de fâcheux service. Le regret qu’il eut d’avoir quitté Paris et s’être arrêté à la campagne sur les belles paroles d’un seigneur, qui nimium attendebat ad rem suam, fit qu’il pensa, dès que j’étais tout petit, de me faire ici avocat ; disant que la campagne était trop malheureuse, qu’il se fallait retirer dans les villes, et me disait souvent ce bon mot du sage : Labor stultorum affliget eos qui nesciunt in urbem pergere ; à cause de quoi il me faisait lire encore tout petit les Vies de Plutarque tout haut, et m’apprenait à bien prononcer. À ce dessein, il me mit au collége à Beauvais, âgé de neuf ans, puis m’amena à Paris au collége de Boncourt, où je fus deux ans pensionnaire, y faisant mon cours de philosophie. Quelque temps après la noblesse, pour le récompenser d’une façon qui ne leur coutât rien, lui voulut donner un bénéfice pour moi, que je refusai tout plat, prostestant absolument que je ne serais jamais prêtre : (benedictus Deus, qui mihi illam mentem immisit in tenerâ adhuc ætate.) Feu mon père, qui reconnaissait en ce refus quelque chose de bon et d’ingénieux, ne s’irrita pas bien fort de mon refus ; mais ma mère en demeura outrée contre moi plus de cinq ans, disant que je refusais la récompense des longs services que… mon père avait rendus à cette noblesse ; mais il n’en fut autre chose. Dieu m’aida : je fus cinq ans sans la voir ni aller chez nous. Durant ce temps-là, j’eus connaissance d’un homme qui me conseilla de me faire médecin à Paris : pour à quoi parvenir, j’étudiai de grand cœur, depuis l’an 1622 jusqu’à l’an 1624, que je fus ici reçu ; et alors père et mère s’apaisèrent, qui m’assistèrent de ce qu’ils purent pour mes degrés, et avoir des livres. Cinq ans après duxi uxorem, de laquelle j’aurai de succession directe vingt mille écus sur père et mère vivans encore, mais fort vieux ; sans une collatérale, qui est une sœur sans enfans et fort riche. Dieu a béni mon alliance de quatre fils, savoir est, de Robert, Charles, Pierrot et François. Annum ætatis attigi 41, avec plus d’emploi que de mérite en ma profession, et moins de santé qu’il ne me serait de besoin, quam potissimùm labefactârunt vigiliæ juges et elucubrationes nocturnæ, à quibus etiam necdùm abstineo ; sed hoc erat in fatis. Voilà, ce me semble, ce qu’avez désiré de moi, et peut-être beaucoup davantage. Excusez mon importunité, et ma prolixité in re tam vili et tam exiguâ[1]. » Il dit en quelque autre endroit de ces mêmes Lettres[2], qu’il était allié d’assez près à M. le président Miron, intendant de Languedoc, et que sa femme était petite-cousine de la fille de ce président.

    M. Bayle n’ayant parlé que des lettres de Guy Patin, je mettrai ici la liste de ses autres ouvra-

  1. Lettres de Guy Patin à Charles Spon, lettre XVIII, tom. I, pag. 78, 79, 80, 81.
  2. Là même, tom. I, pag. 196, 214.