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ORIGÈNE.

quoi les résoudre, soit qu’on suive le système de saint Augustin, soit qu’on suive celui de Molina et des remontrans, soit qu’on recoure à celui des sociniens. Théodore Parrhase soutient le contraire, et prétend[a] qu’un origéniste peut fermer la bouche aux manichéens… Si un homme de cette sorte, continue-t-il, peut réduire un manichéen au silence, que ne feraient pas ceux qui raisonneraient infiniment mieux que les disciples d’Origène ? Nous examinerons ci-dessous ce qu’il suppose que pourrait dire un origéniste après avoir lu toutes les objections des manichéens (E). Quant à l’ouvrage du père Doucin, je me contente de dire que l’on y trouva un grand et curieux détail sur les matières énoncées dans le titre, et outre cela un abrégé de la vie d’Origène. On ne peut le lire sans déplorer le sort bizarre de l’esprit humain. Les mœurs d’Origène étaient d’une pureté admirable ; son zèle pour l’évangile était très-ardent ; il ruinait sa santé à force de jeûnes et de veilles ; affamé du martyre[b], il soutint avec une constance incroyable les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui (F), tourmens d’autant plus insupportables qu’on les faisait durer long-temps : car on évitait avec grand soin qu’il n’expirât dans la torture[c] ; son esprit fut grand, beau, sublime ; son savoir et sa lecture très-vastes ; et néanmoins il tomba dans un prodigieux nombre d’hérésies dont il n’y a aucune qui ne soit monstrueuse[d], et apparemment il n’y tomba qu’à cause qu’il avait tâché de sauver de l’insulte des païens les vérités du christianisme, et de les rendre même croyables aux philosophes ; ce qu’il désirait avec une ardeur extrême, ne doutant pas qu’avec eux il ne convertît l’univers[e]. Tant de vertus, tant de beaux talens, un motif si plein de zèle, n’ont pas empêché qu’il ne soit mort hérétique, et que sa mémoire ne soit en horreur à une infinité de chrétiens. Peu de personnes dans la communion de Rome osent douter de sa damnation éternelle. Or combien y a-t-il de docteurs voluptueux et mondains, paresseux et pleins de vices, et en même temps très-orthodoxes, qui reçoivent tous les jours mille et mille bénédictions pour leur fermeté inébranlable dans la vraie foi ? Tant les jugemens de Dieu sont impénétrables ! On ne s’imagine pas ordinairement que les erreurs d’Origène aient quelque liaison : elles semblent être la production d’un esprit vague et irrégulier ; mais il vaut mieux dire qu’elles coulent d’une même source (G), et que ce sont des faussetés de système, et qui forment une chaîne de conséquences. Quelques-uns de ses sectateurs les poussèrent jusqu’aux sensualités que l’on a vues depuis parmi les molinosistes (H). Mais cet origénisme charnel ne dura guère, et fut plus aisé à détruire que

  1. Parrhasiana, pag. 304.
  2. Voyez ci-dessous, rem. (A), pag. 247, col. 2, citation (*4).
  3. Doucin, Histoire de l’Origénisme, pag. 81.
  4. Là même, pag. 36.
  5. Là même, pag. 37.