parlé de cela ; et je remarque que Paul Jove nous conduit à croire que Manard ne succomba pas sitôt. Personne ne nous apprend si ses efforts furent suivis de quelque fécondité, et s’il eut du moins la consolation de laisser sa femme grosse. Travailler beaucoup et s’en retourner à vide est un sort très-mal plaisant :
Αἰσχρόν τοι δηρόν τε μένεόν κενεόν τε νέεσθαι.
Nam turpe diùque manere inanemque redire [1].
S’il était vrai que ce bon vieillard fût
mort la nuit de ses noces, un devin,
qui lui eût prédit ce que l’on
verra dans les deux vers qui font la
clôture d’un passage que je n’en vais
copier, eût encore mieux répondu
que celui dont il s’agit dans le distique
latin. Le passage que vous allez
lire est de M. Chevreau, et vient ici
fort à propos ; car il concerne l’imprudence
des vieillards qui se marient.
« Si vous aviez songé tout de bon à
la principale fin du mariage, vous
auriez bien vu que cette principale
fin n’est plus pour nous qui sommes
âgés de quatre-vingts ans : et à
tout hasard j’offre d’entretenir à
mes dépens les nourrices des premiers
fruits de votre famille, pourvu
que vous n’ayez point eu de
coadjuteur, et que vous ne fassiez
point votre plaisir de voir bercer
chez vous les enfans des autres
[2]... Le conseil de saint Paul,
Qu’il vaut mieux se marier que
brûler, n’est à mon avis ni pour
vous ni pour moi ; et je pourrais
bien rapporter ici beaucoup
d’exemples et d’autorités sur le ridicule
des vieillards qui se proposent
de faire des noces quand ils
doivent penser à leurs funérailles.
Ce ridicule est toujours mortel : et
vous m’entendrez sans commentaire,
quand je vous ferai souvenir
des vers que Hardy a mis dans
la bouche d’un confident à Alcyonée,
qui, pour avoir l’état de son
roi, croyait en devoir épouser la
fille :
« On ne se servira que d’un même flambeau
« Pour te conduire au lit, et du lit au tombeau [3].
Cousons à ceci un passage de Gui Patin.
Un conseiller de la grand’ chambre
fort vieux, et presque au bord de
la fosse, se va remarier à une jeune
et belle fille d’un autre conseiller. Je
crois que le bon homme veut mourir
d’une belle épée ; mais voyez si ces
bonnes gens sont capables de bien
juger nos procès, eux qui font de
telles folies [4] ? Nous avons vu ci-dessus
[5] ce que disait le même Patin
d’une semblable passion de M. de
Lorme, médecin illustre, et qui eut,
dit-on, une destinée bien différente
de celle de notre Manard : il fit mourir
sa jeune épouse, et montra par-là
que l’aphorisme le fort emporte le
faible n’est pas toujours vrai.
(B) Il mourut... à l’âge de soixante-quatorze ans. ] Cela est marqué dans son épitaphe. Frère Augustin Superbi, de Ferrare, se trompe lorsqu’il assure que notre Manard mourut l’an 1545 [6]. Gesner, d’autre côté, qui composa sa Bibliothéque, l’an 1544, et qui nous apprend qu’il a ouï dire que Manard était décédé depuis environ six ans [7], n’avait pas été bien instruit.
(C) On assure qu’il avait rendu à la médecine son ancien éclat. ] Voici les paroles de l’épitaphe [8] : Ann. P. M. L. X. [9] Continenter tùm docendo et scribendo, tùm innocentissimè medendo omnem medicinam ex arce bonarum litterarum fœdé prolapsam., et in Barbarorum potestatem ac ditionem redactam, prostratis ac profligatis hostium copis identidem ut Hydra renascentibus in antiquum pristinumque statum ac nitoren restituit.
- ↑ Homer., Iliados lib. II, vs. 298.
- ↑ Chevreau, Œuvres mêlées, Ire. part., pag. 149, dans une lettre datée du 13 d’octobre 1693.
- ↑ Là même, pag. 150.
- ↑ Patin, lettre XCVI, pag. 383 du tome I.
- ↑ Dans l’article Lorme (N. de), tom. IX, pag. 361, remarques (D) et (E).
- ↑ F. Agostino Superbi da Ferrara, theologo. e predicatore de’ Minori Conventuali, Apparato de gli Uomini illustri della città di Ferrara, pag. 74.
- ↑ Gesner., in Biblioth., folio 455.
- ↑ Elle est dans Agostino Superbi, Apparato de gli Uomini illustri di Ferrara, pag. 74, qui dit qu’on la voit au cloître des Carmes de Ferrare. Elle se trouve plus entière dans l’Itinerarium Italiæ, d’André Scott, folio m. 114.
- ↑ Je ne sais si ces quatre lettres signifient plus minùs sexaginta.