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LUPERCALES.

gnent pas la conception immaculée par piété, mais par haine contre les dominicains, et pour les rendre odieux à tout le peuple. Le cardinal de Lugo, jésuite, écrivit cette lettre [* 1] à un de leurs pères de Madrid. Que votre révérence fasse en sorte que les vôtres s’appliquent avec soin, dans vos quartiers, à réveiller la dévotion de la conception, à laquelle on est fort affectionné en Espagne, pour voir si par ce moyen nous pourrons détourner ailleurs les dominicains qui nous pressent fort ici en défendant saint Augustin, et je crois que si on ne les oblige de s’employer sur une autre matière, ils nous surmonteront dans les principaux points de Auxilis [1]. »

(G) On prétend qu’il est l’auteur de la découverte du péché philosophique. ] Voyez le livre intitulé : Le philosophisme des jésuites de Marseille, vous y trouverez ces paroles [2] : Ce qui embarrasse de Lugo « en admettant des péchés actuels purement philosophiques dans un barbare, au moins pendant le peu de temps où il suppose et soutient qu’il peut ignorer Dieu incoupablement, c’est que ce barbare peut mourir dans ce peu de temps avec ses péchés philosophiques, et qu’il ne sait ce que Dieu en pourrait faire, ni quel jugement il pourrait prononcer sur un tel pécheur, ni en quel rang il le mettrait pour l’éternité. D’autres jésuites l’envoient aux limbes avec les enfans morts-nés, après quelque peine temporelle proportionnée au péché philosophique, de quelque nature qu’il fût, parricides, incestes, etc. Mais de Lugo aime mieux faire un nouveau genre de providence…. Dans ce nouvel [* 2] ordre, Dieu, pour ne pas bannir de ce monde le péché philosophique, qui y est si nécessaire, et pour n’être pas aussi embarrassé de ce qu’il pourra faire en l’autre de ces sortes de pécheurs, fera un miracle plutôt que de les laisser mourir en cet état. Il leur donnera, avant qu’ils sortent de cette vie, autant de connaissance du vrai Dieu qu’il leur en est nécessaire pour pouvoir pécher théologiquement, ou au moins autant de lumière qu’il leur en faut pour pouvoir se douter qu’il pourrait bien y avoir un Dieu, et il attendra pour les laisser mourir qu’ils aient commis avec cette connaissance, ou avec ce doute, quelque péché qu’il puisse traiter de péché mortel, et le punir éternellement dans l’enfer. Car ce seul doute dont il négligerait de s’éclaircir, rendrait son péché éternellement punissable, parce qu’en péchant en cet état, il s’exposerait au danger d’offenser celui qui lui a donné l’être. La pensée est tout-à-fait rare, et digne de celui qui paraît être le premier jésuite qui ait fait la découverte du philosophisme. » On voit aisément que l’auteur qui rapporte ainsi le dogme de ce jésuite, y mêle des traits railleurs. Mais après tout, il n’est pas étrange qu’un docteur soit embarrassé quand il tâche de concilier la damnation éternelle de l’homme avec les idées naturelles, qui nous font voir clairement que pour faire entrer un caractère de moralité dans une action, il faut qu’on ait su si elle est bonne ou mauvaise, ou que l’on l’ait ignoré par sa propre faute. Concluons qu’il est facile de broncher dans un tel chemin, puisqu’on y fait de faux pas, lors même qu’on se propose d’écarter du jugement de Dieu tout ce qui semble le faire paraître moins équitable. La supposition de notre de Lugo ne va pas à diminuer la quantité des damnés, mais à les rendre plus notoirement damnables.

  1. * Joly dit que cette lettre ne peut avoir été écrite par Lugo qui, né en 1583, ne vint à Rome qu’en 1621, et ne fut cardinal qu’en 1643 ; car, ajoute-t-il, les congrégations de auxiliis commencèrent le 2 de janvier 1598, et finirent le 6 mars 1606.
  2. (*) Dices saltem illo brevi tempore, quo sinè culpâ ignoretur Deus, posset aliquis mori antè cognitionem Dei. Quid igitur fieret de illo adulto sinè peccato mortali ? Respondeo facilè…. in nostro casu dicendum, pertinere ad candem providentiam Dei, ut nullus infidelis adultus moriatur, donec vel cognoscat Deum, vel saltem dubitet, et culpabiliter omittat ejus inquisitionem, vel, non obstante illo dubio, committat alia peccata gravia : quæ quidem jam erunt omninò mortalia, cùm opponat se periculo offendendi illum conditorem, de quo dubitat an sit. De Lugo, Tract., de Incarnar.
  1. Morale pratique des Jésuites, t. I, p. 270.
  2. À la page 119, 120.

LUPERCALES, fête que les