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HENRI III.

à Melun, sans luy faire autre mal que la peur qu’il eut, y allant, qu’on ne le jettast dans la rivière [1]. »

(P) Il fut éloquent, … il aima les sciences : … mais on trouva du contre-temps à cela, et à la peine qu’il prit d’apprendre la langue latine. ] Mézerai rapporte le précis de la harangue que fit ce prince aux états de Blois, l’an 1576, et il ajoute [2] : « Cette belle harangue, prononcée par la bouche d’un roi, avec une action vraiment royale et une grâce merveilleuse, fut reçue de toute l’assistance avec un applaudissement général, mais non sans quelque douleur des plus sages, qui, admirant en ce prince tant de belles qualités extérieures, regrettaient en eux-mêmes que sa nourriture n’eût pas correspondu à sa naissance, et ne pouvaient louer la beauté naturelle de son génie, qu’ils ne détestassent au même temps ceux qui l’avaient malheureusement corrompue. » Il donne aussi le précis de la harangue que ce même prince prononça à l’ouverture des états de Blois, l’an 1588, et il y prépare son lecteur par ces paroles [3] : Il leur fit une belle harangue dans laquelle il garda ce tempérament qu’il voulut bien les assurer qu’il avait oublié les injures passées, mais que c’était à condition que, toutes factions éteintes, son autorité se rétablirait en son entier. Ce qu’il déduisit avec tant d’art et de politesse, que s’il n’eût été question que de paraître bon orateur, il eût remporté ce qu’il désirait. Confirmons cet éloge par une lettre qu’un des députés [4] aux états de Blois écrivit. « La plus belle et docte harangue qui fut jamais ouye, non pas d’un roy, mais je dis d’un des meilleurs orateurs du monde, et eut telle grace, telle asseurance, telle gravité et douceur à la prononcer, qu’il tira les larmes des yeux à plusieurs, du nombre desquels je ne me veux exempter ; car je senty, à la voix de ce prince, tant d’émotion en mon ame, qu’il fallut malgré moy, que les larmes en rendissent tesmoignage : il remonstra avec tant de pitié les miseres de ce royaume, fit avec tant de vivacité entendre le regret qu’il en avoit, compara la felicité, etc. [5]. » Il serait inutile de m’objecter qu’on lui faisait ses harangues ; car cela n’empêcherait point qu’il n’ait dû passer pour très-éloquent, vu la manière dont il haranguait. Ceux qui occupent les premières places dans les parlemens ne laissent pas quelquefois de mériter les éloges de bons orateurs, quoiqu’ils fassent composer par d’autres les discours qu’ils font à l’ouverture des audiences ; et combien y a-t-il d’excellens prédicateurs qui ne composent pas eux-mêmes ce qu’ils récitent ? Mais n’en demeurons point là, rapportons encore un passage de Mézerai qui témoignera que ce monarque parlait très-bien sur-le-champ [6]. « Il se rendit si éloquent avec la disposition naturelle qu’il y avait, que s’il pouvait y avoir de l’excès à une si belle chose, il aurait eu sujet de dire qu’il l’était trop. Aussi se plaisait-il merveilleusement aux grandes assemblées et aux actions d’apparat, où il se trouvait que sa harangue était toujours la plus belle, et que même les réponses qu’il faisait sans préméditation aux députés et aux ambassadeurs, valaient mieux que leurs pièces préparées avec beaucoup d’art et de peine [7]. » Je ne sais si ce grand historien a jamais insinué que les harangues de ce prince étaient l’ouvrage d’un autre. Je sais bien que M. de Thou rapporte que l’on croyait que Morvillier était l’auteur de celle qui fut prononcée par le roi aux états de Blois, l’an 1576 [8] ; mais je suis sûr que si ce prince ne composait pas lui-même ces pièces-là, il y apportait pour le moins son examen, ses avis et ses corrections. Ce que je m’en vais dire me le persuade.

Il eut beaucoup de passion d’en-

  1. Pierre Matthieu, Histoire des derniers troubles, pag. m. 15.
  2. Mézerai, Histoire de France, tom. III, pag. 422. Voyez aussi pag. 481.
  3. Là même, pag. 714.
  4. En 1588.
  5. Marcel, Histoire de France, tom. IV, pag. 602.
  6. Mézerai, Histoire de France, tom. III, pag. 799.
  7. Là même, pag. 481.
  8. Thuan., lib. LXIII, pag. 179.