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HENRI III.

la mort du cardinal fut l’accomplissement de ses souhaits. En ce contentement d’esprit il se comporta quelques jours, faisant depescher lettres de tous costez, pour manifester le motif de cest accident, desquelles il ne rapporta pas grand profit. Quelques huit ou dix jours après, ne recevant aucunes nouvelles de Paris, il commença de penser à sa conscience, et ravaller quelque chose de ceste grande joye. Et depuis adverty de ceste générale revolte, il eust grandement souhaité, que la partie eust esté à recommencer... Le roy petit à petit commença de se desplaire de tout ; voire de soy-mesmes. Je le vous puis dire et escrire ; comme celuy qui en ay esté spectateur. La deffiance plus qu’auparavant se logea dedans son cœur, comme vous entendrez presentement. Pasquier ensuite de ces paroles raconte quatre ou cinq faits qui témoignent clairement l’embarras épouvantable où ce prince se trouva. Il voulut faire transporter au château d’Amboise les personnes qu’il avait fait arrêter après la mort de MM. de Guise, et il ne trouva aucun auquel il se peust fier qu’à lui seul. Je vous dirai franchement, ajoute Pasquier, que la plus grande partie de nous, qui estions à Blois, crevions de despit en nos ames, de voir les affaires du roy si bas, qu’il fust contraint de se faire conducteur de ses prisonniers. A peine estoit-il demaré, que nous recevons nouvelles que le mareschal d’Aumont, ayant abandonné la citadelle, et levé le siege d’Orleans, par la venue du sieur de Mayenne, s’estoit retiré avec ses gens à Baugency. Plusieurs de ses soldats blessez arrivent à Blois. Adoncque chacun de nous se fit accroire, que la conduite de ces prisonniers estoit un pretexte exquis et recherché par le roy, pour quitter avec moins de scandale la ville. Et vous puis dire que si lors le sieur de Mayenne eust donné jusques à nous, la frayeur estoit si grande et generalle, qu’il n’y eust trouvé resistance, et s’estant fit maistres de Blois, toute la riviere de Loire estoit sienne ; d’autant que toutes les villes bransloient : et eust esté le roy merveilleusement empesché de trouver lieu pour sa retraite. Dieu nous voulut preserver de cette mesadventure [1]. L’auteur ajoute [2] que Longnac, qui avoit esté le premier qui avoit induit le roy de commander ce meurdre qui luy estoit si malheureusement reüssi, perdit toute sa faveur. Quelques historiens content que ce brave gentilhomme, ne croyant pas être en sûreté à la cour, demanda au roi une place où il pût se retirer, afin de se garantir du ressentiment des ligueux [3]. C’était faire sentir au prince le mauvais état où l’on croyait ses affaires : la réponse que l’on prétend qu’il fit à Lognac n’est point indigne d’un grand roi. J’en parle ailleurs [4].

(K) Il se surpassa lui-même dans l’exécution du projet de faire mourir le duc de Guise. ] Le cœur lui avait manqué à la journée des barricades ; il avait quitté la partie à son rival, il s’était sauvé de Paris, et y avait laissé au duc de Guise toute la gloire du triomphe. Le cœur lui revint à Blois, et il y fit succomber ce fier ennemi. C’est à quoi l’on peut appliquer ces paroles de l’Enéide :

Quondam etiam victis redit in præcordia virtus,
Victoresque cadunt [5].


Ce fut alors que l’on vit la vérité d’une sentence d’Homère, je veux dire de la remontrance que Calchas faisait à Achille, qu’un roi qui est en colère contre son inférieur a le dessus tôt ou tard.

Κρείσσων γὰρ βασιλεύς ὅτε χώσεται ἀνδρὶ χέρηϊ.
Εἴπερ γάρ τε χόλον γε καὶ αὐτῆμαρ καταπέψῃ,
Ἀλλά τε καὶ μετόπισθεν ἔχει κότον, ὄϕρα τελέσσῃ
Ἐν ςήθεσσιν ἑοῖσι. .............

Potentior enim rex quando irascitur viro inferiori,
Quamvis enim iram vel eodem die decoxerit,
Tamen et posteà retinet, simultatem donec perfecerit
In pectoribus suis [6] ............


J’ai lu dans plusieurs auteurs la relation de cet exploit de Henri III ; mais

  1. Pasquier, Lettres, liv. XIII, tom. II, pag. 64.
  2. Là même, pag. 65.
  3. Voyez l’article Lognac, tom. IX, remarque (F).
  4. Dans le même article.
  5. Virgil., Æneid., lib. II, vs. 367.
  6. Homerus, Iliad., lib. I, vs. 80. Voyez aussi la remontrance de Nestor au même Achille, là même, vs. 295.