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HENRI II.

connétable eussent également réussi à le lui cacher ; ou que n’ayant plus d’autre fils que le dauphin, il appréhendât de le choquer [1]. Ces paroles sont de M. Varillas, et peuvent être fort justement critiquées : car 1°., si le dauphin eût dissimulé durant sept ans son amitié, il n’aurait pas tant de fois pressé son père de rappeler le connétable ; et néanmoins M. Varillas assure ce dernier fait [2]. 2°. Comment accorder l’alternative de cet auteur avec ce que M. de Mézerai débite [3], que le roi se fâchait beaucoup de ce que le dauphin, malgré ses défenses, entretenait commerce avec le connétable de Montmorenci.

(B).......... Cette désobéissance lui coûta cher. ] M. Varillas me fournira le commentaire de ce texte : je ne me contenterai pas de le citer quant au règne de Henri II, je reprendrai ses paroles d’un peu plus haut. Les disgrâces du connétable de Montmorenci, dit-il [4], de l’amiral Chabot, et du chancelier Poyet, sont racontées dans le IXe. livre de manière à ne pas surprendre ceux qui auront lu dans la République de Bodin, que François Ier. devenait de plus méchante humeur à proportion qu’il approchait de la vieillesse ; qu’il avait été convaincu par sa propre expérience, de n’avoir pu choisir deux hommes moins propres aux intrigues du cabinet, que l’étaient Montmorenci et Chabot ; et qu’encore qu’il ne pût pas attribuer le même défaut à Poyet, ce chancelier en avait un autre aussi grand, qui consistait à pousser les affaires trop loin ; que c’était là la source de tous les malheurs arrivés à sa majesté ; et que si elle continuait de se servir des mêmes ministres, elle ne devait point attendre de plus favorables succès. L’événement justifia que les trois ministres qui furent mis en la place des disgraciés, étaient plus capables qu’eux de la remplir ; et que si Henri II n’eût pas depuis rétabli le connétable de Montmorenci, il n’aurait pas été contraint de rendre pour le recouvrer cent quatre-vingt-dix-huit villes ou places fortes, et presque autant d’étendue de pays qu’en contenait le tiers de la France.

(C) Le connétable fut la cause d’un traité de paix beaucoup plus honteux à la monarchie française. ] M. de Mézerai, qui est celui de tous les historiens de France qui favorise le plus hautement les sujets contre la cour, ne laisse pas de blâmer la joie que le peuple témoigna de cette paix. Le peuple, dit-il [5], qui souhaite toujours la paix à quelque prix que ce soit, en témoigna grande réjouissance..... Mais le parti des Guises, les sages politiques, toute la noblesse, la blâmaient hautement, comme une tromperie manifeste qui faisait perdre à la France 198 places fortes pour trois seulement qu’on lui rendait, qui étaient Ham, le Catelet et Saint-Quentin. Il parle plus fortement dans sa grande histoire [6] ; car, en rapportant les articles de cette paix, il insère après ces paroles, que pour unir plus fortement les cœurs des princes, cette parenthèse (mais plutôt pour couvrir de quelque honnête prétexte la honte et la perte que la France recevait de ce malheureux traité) ; et voici ce qu’il dit vers la fin de la même page : « Ces articles étant apportés au roi, et communiqués par sa majesté aux princes et aux plus grands de son état, il y eut peu de gens qui ne les jugeassent entièrement désavantageux et honteux à la France ; aussi les condamnait-elle universellement par ses murmures. Brissac en ayant eu avis, bien qu’on lui eût dissimulé les articles, dépêcha en cour Boyvin-Villars, celui qui nous a laissé les mémoires de la guerre de Piémont, avec des instructions pour lui exposer ses très-humbles remontrances, et le détourner de cette paix si désavantageuse : concluant que si sa majesté était résolue de rendre ce qu’elle possédait en Italie, qui valait la meilleure province de son royaume, et lui pouvait rapporter tous frais faits 300 mille écus de reve-

  1. Varillas, Histoire de Henri II, liv. I, pag. 6.
  2. Histoire de François Ier., liv. XII, pag. 295.
  3. Abrégé chronolog., tom. IV, pag. 635.
  4. Préface de l’Histoire de François Ier.
  5. Mézerai, Abrégé chronologique, tom. IV, pag. 715.
  6. Histoire de France, tom. II, p. 1132.